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un article très intéressant à lire et fort bien instructif. bravo maître benao. vivement la suite!
Par OUATTARA, le 15.05.2016

merci maitrr pour cette eclairage affaire a suivre.
Par xong naba mariame, le 15.05.2016

merci pour cet éclairage. je suis vraiment dépité de la réaction de la cc. pr moi c'est le dernier refuge, le
Par Anonyme, le 15.05.2016

merci me pour cet éclairage. on ne savait plus à quel saint se vouer. heureusement que dans cette spirale il y
Par A.T, le 14.05.2016

tres edifiant. ça m'a permis de comprendre mieux et bien.je suis à present tres bien éclairé. merci maître. je
Par amed ibrahim, le 14.05.2016

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Date de création : 23.05.2012
Dernière mise à jour : 14.05.2016
11 articles


Un billet pour la Justice

Publié le 14/05/2016 à 01:21 par justafrik Tags : monde bonne roman société création texte pouvoir éléments lecture actualité element ass
Un billet pour la Justice

 

 

 

 

Un billet « aller » pour la Justice… (Première partie)

 

Il est des choses et des faits sur lesquels on ne peut, du simple fait d’être un citoyen, se taire. Car la redevabilité n’incombe pas aux seuls gouvernants, mais aussi aux gouvernés,  ceux-ci ont le devoir de s’interroger sur le sens et la portée de certains actes sur leur avenir, leur devenir, et le sort de la société. Il en est ainsi des actes posés par tous les organes de l’Etat, qu’ils relèvent du pouvoir exécutif, parlementaire ou judiciaire.

 Depuis le 28 avril 2016, l’actualité judiciaire a occupé la presse et l’opinion publique, avec des critiques légitimes qui viennent rappeler que les usagers du service public de la justice comptent bien réclamer d’elle qu’elle soit le dernier rempart et un rempart à qui ils peuvent faire confiance.

Le but de ce propos est de passer en revue cette actualité, sous le prisme du droit positif burkinabè, sans aucune autre prétention par ailleurs, en nous acquittant de notre part de redevabilité envers nous-même.

Nous retiendrons, pour ce billet, l’arrêt polémique de la Cour de cassation, non pas dans son contenu tel qu’il résulte du dernier délibéré, mais dans le processus qui lui a donné jour au soir du 28 avril 2016 (1). Ensuite, nous reviendrons sur la notion de consultation telle disputée par le barreau et le parquet général de la cour d ‘appel de Ouagadougou dans la procédure suivie contre un avocat au tribunal militaire (2). Nous ne saurions rester indifférent face à la mesure de cessation de fonctions de magistrats au tribunal militaire (3).

  1. Sur la (les) décision (s) d’annulation des mandats d’arrêt international par la chambre criminelle de la Cour de Cassation. 

 A l’issue de la révélation par le journaliste Yacouba Ladji BAMA de la surcharge du plumitif qui n’était qu’une présomption (grave), nous avons approché les avocats présents ce jour à l’audience pour mieux comprendre. Il est ressorti formellement que le matin du 28 Avril 2016 la décision rendue par la Cour était une décision de rejet du pourvoi, sans équivoque : deuxième vitesse. Comment pareille décision peut devenir, au soir, une décision totalement contraire, à savoir, une décision d’annulation ? C’était, en réalité la troisième vitesse.  Il y a eu une première vitesse courant mars, mais bref… Il s’agira de nous interroger progressivement sur les contours et les implications du processus de ces décisions, du moins la dernière.

a)     Cette manière de procéder est-elle légale ?

A priori, on peut imaginer que les hauts magistrats diront qu’il s’était agi d’une erreur matérielle qu’ils ont voulu rectifier, comme du reste, l’ont déjà insinué deux acteurs de la Cour tel que rapporté par le journaliste. Mieux, dans une réponse adressée à l’Observateur Paalga ce vendredi 13 mai 2016, le Procureur général de la Cour de cassation soutient qu’il s’agissait d’ « un rabat d’arrêt » qui visait à corriger une erreur matérielle. Mais, cet argument ne peut être d’aucun secours à la cour et à ses animateurs!

b)    Le rabat d’arrêt, qu’est-ce ?

Selon le dictionnaire de droit criminel, «Le « rabat d’arrêt » est la décision par laquelle une juridiction met à néant une précédente décision rendue dans la même affaire. Cette procédure, tout à fait exceptionnelle, se rencontre notamment devant la Cour de cassation[1]. »   Par exemple, dans un arrêt du 8 mai 1968, la Chambre criminelle de la cour de cassation française avait rejeté le pourvoi formé par Casanova Joseph contre un arrêt rendu le 21 mars 1968 par la Cour d’assises de la Corse, mais après avoir constaté que le même Casanova, demandeur au pourvoi, était décédé le 25 mars 1968, soit antérieurement à l’arrêt précité, elle a rétracté l’arrêt du 8 mai 1968 et a déclaré l’action publique éteinte[2].

Le rabat d’arrêt est qualifié par la doctrine de « procédure totalement innommée [3]» tendant à remettre en cause un arrêt de la Cour de cassation, étant donné que d’un point de vue formel, à ne s’en tenir qu’à la volonté déclarée du législateur, elle n’existe pas.  « Mais, d’un point de vue matériel, il est permis de soutenir que le rabat d’arrêt constitue une véritable voie de recours [4]». La jurisprudence est à l’origine de la création de voies de recours en marge de la loi. Or, l’argument tenant à l’absence de fondement autre que jurisprudentiel vaudrait également pour les recours-nullité autonomes. Il est donc préférable de reconnaître ce rôle créateur de la jurisprudence, tout en appelant de ses vœux une consécration textuelle.»[5]

Il permet, pour ainsi dire, « d’attaquer » les décisions les plus irrévocables qui soient : les arrêts de la Cour de cassation[6]. On considère que le rabat peut être rattaché aux voies de recours résolutoires parce que d’abord, il est "subsidiaire par la force des choses", aucune voie de recours suspensive n’étant admise contre un arrêt de cassation ; ensuite, parce qu’aucun délai n’est institué pour limiter son exercice et, enfin dans la mesure où la découverte de l’erreur intervient à un moment où il est trop tard, l’arrêt étant irrévocable dès son prononcé.

Qu’en est-il de cette procédure dans le droit burkinabè ?

c)     La procédure dite de « rabat d’arrêt » existe-elle dans notre droit ?

Il est hasardeux de répondre par l’affirmative, du moins, d’un point de vue formel.

En effet, elle ne se trouve nulle part ni dans le code de procédure pénale encore moins dans la loi créant la Cour de cassation. Ce n’est, du reste, pas étonnant si le procureur général est allé chercher une définition dans un lexique ou un dictionnaire qui ne saurait être une source pertinente de droit si la loi burkinabè ignore même cette procédure de rabat d’arrêt. Or, le juge ne peut aller jusqu’à inventer une procédure sans s’immiscer dans le pouvoir législatif puisqu’en ce moment il légifère en bonne et due forme. On ne voit donc pas comment la Cour peut créer ainsi une procédure imaginaire pour administrer « la justice » ?

En outre, le juge burkinabè a coutume de ne recourir à une procédure que lorsqu’elle est prévue par la loi. Par exemple, bien qu’il soit largement admis que le pourvoi existe même sans texte, le juge burkinabè a fréquemment refusé de l’admettre au motif qu’il n’y a pas une disposition légale qui le prévoit. D’ailleurs, on peut parier qu’en plus ou moins 50 ans d’existence, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire ne peut démontrer avoir déjà opéré un « rabat d’arrêt »[7].

En tout état de cause une telle procédure a pour but d’anéantir un arrêt rendu par la cour en le rétractant purement et simplement pour des raisons limitativement énumérées par une loi[8] ou un règlement de procédure, ce qui l’a fait identifier à « un repentir du juge »[9]. Cela implique que le premier arrêt reste au dossier en bonne et due forme et que l’arrêt de rétractation aussi est rendu et laissé aussi au dossier. On ne peut tripatouiller le plumitif et prétendre qu’il y a eu rabat d’arrêt. 

En somme, on ne peut soutenir qu’il s’est agi d’un rabat d’arrêt.

d)    Mais, s’est-il agi d’une procédure de rectification d’erreur matérielle ?

Dans notre procédure pénale, à l’opposé de celle sénégalaise, la seule hypothèse où la cour de cassation peut rectifier ou corriger des erreurs contenues dans un arrêt est donnée à l’article 681 du code de procédure pénale qui énonce que « tous incidents contentieux relatifs à l'exécution sont portés devant le tribunal ou la Cour qui a prononcé la sentence ; cette juridiction peut également procéder à la rectification des erreurs purement matérielles contenues dans ces décisions. Par exception, la chambre d'accusation connaît des rectifications et des incidents d'exécution auxquels peuvent donner lieu les arrêts de la [chambre criminelle de la Cour d’appel]. »

Il en résulte que cette disposition permet au juge de corriger les erreurs « purement matérielles » d’un précédent arrêt[10] qu’il aurait commises. La jurisprudence française considère à juste titre que « les juges possèdent un pouvoir souverain pour procéder à la rectification des erreurs purement matérielles, pouvoir que limite seule la seule défense de modifier la chose jugée, de restreindre ou d’accroitre les droits consacrés par cette décision»[11].

Mais, en l’espèce, la cour est allée d’une décision à une décision parfaitement contraire. On ne peut soutenir qu’il s’est agi d’une rectification car la rectification suit une procédure rigoureuse qui doit aboutir sur une autre décision et les deux décisions doivent coexister : la décision contenant l’erreur ainsi que celle qui vient corriger l’erreur supposée[12]. On ne modifie pas l’instrumentum d’une décision y compris dans le plumitif et prétendre après qu’il s’était agi d’une erreur matérielle ou que l’on rectifiait ou corrigeait…une erreur. A titre de droit comparé, la cour de cassation française a jugé que « le juge ne peut, sous le couvert de rectification, prononcer une condamnation que ne comporte pas le jugement prétendument entaché d’erreur »[13]  ni « ajouter de nouvelles dispositions qui ne seraient pas une réparation d’erreurs matérielles »[14] ni même « modifier les droits et obligations des parties tels qu’ils résultent du jugement et se livrer à une nouvelle appréciation des éléments de la cause[15] ». Mieux, il ne peut y avoir de rectification d’erreur de droit[16] à moins que ce ne soit une erreur de procédure[17]. « Seules les erreurs involontaires peuvent faire l’objet d’une requête en rectification ; l’erreur doit provenir d’une inadvertance, d’une négligence ou d’une inattention qui a trahi l’intention profonde du juge.[18]» Il semble qu’en l’espèce, la cour de cassation est passée d’une décision de rejet du pourvoi à une décision d’accueil favorable du pourvoi. Dès lors, les hauts magistrats ne peuvent convaincre personne de l’existence, en l’espèce, d’erreur matérielle, au demeurant, quand la décision va de X à -X.

On ne peut donc soutenir qu’il s’est agi d’une rectification.  

e)     Que faire ?

Comment comprendre autrement cette situation si ce n’est se rendre à l’évidence que la Cour, autrement composée ou pas, a dû délibérer une seconde fois après son premier délibéré ? Il n’y a aucune autre explication. A ce sujet, la sortie de ce vendredi du Procureur Général est un aveu involontaire que le dossier a clairement fait l’objet d’une déviance professionnelle extrêmement grave !

Il ne sera pas dit que dans un pays comme le nôtre, UNE COUR DE CASSATION, TOUTE UNE COUR DE CASSATION EST CAPABLE DE TELLES ENORMITES ! Et dire que c’est le Président d’une telle cour qui préside le Conseil Supérieur de la Magistrature, ci-devant indépendant, cela ne donne-t-il pas à réfléchir ? Si cela est possible, les investisseurs qui sont à nos portes savent désormais qu’ils s’aventurent dans un engrenage avec des risques sans garantie de sécurité juridique. Si la plus haute juridiction peut faire ce qui s’est passé le 28 Avril, le citoyen burkinabè lui-même n’est plus en sécurité. Il se fatigue inutilement ou se sacrifie inutilement.

f)      Qui pour agir ?

Il est absolument indispensable que des explications soient exigées par l’autorité disciplinaire et que les organisations dont c’est l’objet social introduisent une plainte contre les magistrats concernés afin que la lumière et toute la lumière soit faite.

S’agissant d’abord des poursuites disciplinaires, il convient de rappeler que les articles 32 et 33 de la loi sur le Conseil supérieur de la magistrature donnent concurremment le droit au Ministre de la Justice et aux chefs de juridictions et parquets de saisir le Conseil de discipline. En effet l’article 32 énonce que « Le ministre de la Justice saisi de faits constitutifs de faute disciplinaire contre un magistrat est tenu d’enclencher la procédure disciplinaire. ». Quant à l’article 33 il prescrit que « Le conseil de discipline peut également être saisi par les chefs de Cours, Procureurs généraux et les commissaires du gouvernement près lesdites Cours et tout justiciable qui estime qu'à l'occasion d'une procédure judiciaire le concernant, le comportement d’un magistrat dans l'exercice de ses fonctions est susceptible de recevoir la qualification de faute disciplinaire.

Les dénonciations ou plaintes sont adressées au président du conseil de discipline et déposées auprès du secrétariat permanent du Conseil supérieur de la magistrature. Elles sont examinées par une commission d'admission des requêtes. »

C’est donc dire que parmi tout ce beau monde, on peut espérer qu’il y ait au moins pour saisir le Conseil de discipline ! 

En ce qui concerne une éventuelle plainte pénale, outre les procureurs compétents (procureur du faso, procureur général de la cour d’appel), il y a l’ASCE-LC qui peut et doit enquêter, sans oublier des organisations comme le Centre pour l’Ethique Judiciaire (CEJ), tout au moins et le RENLAC bien sûr ! On se rappelle que le CEJ, et c’est à son honneur, avait initié une procédure contre un usager pour corruption, mais fut déclaré irrecevable, au motif, selon le Tribunal, que la loi ne lui donnait pas le droit de le faire : maintenant que c’est chose faite, il faut espérer que cette organisation dirigée par mon ami Guy Hervé Kam bouge dans les jours à venir, pour couper court à ceux qui disent que l’éthique au CEJ serait à géométrie variable.

En définitive, on ne peut que se demander comment et pourquoi la justice devrait toujours prêter le flanc à des pouvoirs non identifiés pour s’auto-flageller ? L’indépendance de la justice était vue comme un mythe, mais à la lumière de cette affaire, on réalise qu’elle tend à être un simple leurre et la lueur de cette indépendance devient comme l’horizon… qui s’éloigne quand on y approche. Mais pour combien de temps encore ? Si les choses restaient en l’état, et qu’il est admis que la Cour de Cassation en est capable, il ne faut plus rien attendre de la Justice.

(à suivre…)

B. BENAO.

Avocat à la Cour



[1] DOUCET (J.P.), Dictionnaire de droit criminel, via http://ledroitcriminel.free.fr/dictionnaire/lettre_r/lettre_r_ra.htm, consulté le 13 mai 2016 à 12 h 17 minutes.

[2] Cass. crim.21 janvier 1969, Bull. crim. n°37 p.85

[3] Voy. Cédric BOUTY, L’irrévocabilité de la chose jugée en droit privé, via http://books.openedition.org/puam/614?lang=fr#ftn113 

[4] G. CORNU et J. FOYER, Procédure civile, PUF, 3èmeéd., 1996, p. 629

[5] Voy. Cédric BOUTY, Op.Cit.

[6] Ceux-ci ne sont susceptibles d’aucune voie de recours suspensive : le Code de procédure civile proscrit l’opposition, ou un second pourvoi ; même la tierce opposition et le recours en révision ne peuvent être dirigés contre un arrêt de cassation.

[7] La cour paie ainsi son attachement à seule lettre des lois plutôt que d’aller vers une lecture audacieuse et moins simpliste. Elle le fait à l’occasion d’une procédure dont les enjeux politiques sont patents, créditant par la même occasion la thèse de son instrumentalisation par les pouvoirs politiques. On se rappelle que cette même cour avait déclaré irrecevable le pourvoi dans l’affaire Thomas SANKARA, une autre affaire aux relents politiques caustiques, au motif que la somme de cinq milles francs CFA de consignation n’avait pas été respectée.

[8] Au Sénégal par exemple, la procédure de rabat d’arrêt est expressément prévue par l’article 51 de la loi organique 2008 -35 du 7 aout 2008 portant création de la cour suprême et procédure applicable devant elle, en ces termes ; « l’article 51 de la loi organique sur la Cour suprême, « la requête en rabat d’arrêt ne peut être accueillie que si l’arrêt attaquée est entachée d’une erreur de procédure, non imputable à la partie intéressée et qui a affecté la solution donnée à l’affaire par la Cour suprême»

[9] Voy. Atias (Ch.), Le rabat d’arrêt: de la rectification d’erreur matérielle de procédure au repentir du juge, Dalloz, 26 avril 2007, n°17, p. 1156-1160.

[10] Crim. 14 mars 1961, D. 1961. 303

[11] Crim. 29 juin 1966, D. 1977, IR 425, obs Puech

[12] L'affaire est généralement remise au rôle d'une proche audience et il est statué contradictoirement. La décision rectificative fait alors corps avec la décision rectifiée et sur la minute, le Greffier fait porter une mention renvoyant à la décision rectificative.

[13] Civ. 2ème, 09 Octobre 1988, JCP 1989 .II. 21271

[14] Crim. 26 Juin 1984, Bull. Crim. N°242

[15] Cass. Ass.Plén., 1er avril 1994, D. 1994. 293, concl. Jéol ;

[16] Soc. 5 février 1992, JCP 1992. IV.1008, p. 107

[17] Cass. 3e civ., 19 nov. 1986 : Bull. civ. III, n° 162

[18] Voy. R. PERROT, « L’arrêt d’appel », Gaz. Pal.1981, pp. 238–246

Nos propres turpitudes

Publié le 01/05/2016 à 15:00 par justafrik
Nos propres turpitudes

«Il n’y a pas de science humaine où la conséquence des égarements soit plus importante qu’en celles des lois» . Il faut espérer et souhaiter que la société burkinabè ne fasse les frais d’égarements collectifs par le fait que tous les burkinabè sont devenus, en l’espace de quelques mois, des pensionnaires de la fac de droit de ZOGONA. D’ailleurs, de plus en plus d’homme de droit déplorent que depuis l’insurrection, tout le monde se soit improvisé juriste. Ils ont peut-être raison.

De l’avis de l’auteur de ces humbles lignes, si une saine opinion juridique peut être promue dans notre pays, c'est un excellent outil pour mesurer la perception bien comprise de la performance ou de la contreperformance de notre justice. On ne peut pas demander aux citoyens de fermer les yeux sur lapplication des lois, dans la mesure où la justice ne juge pas uniquement des juristes, bien au contraire! C'est donc normal que le citoyen veuille comprendre, mais on peut ne plus comprendre qu'il veuille imposer sa lecture à celui qui juge. Comment en sommes-nous arrivés là en quelques temps? 

Il faut le dire, le danger le plus redoutable qui guette la Justice dans son ensemble est moins forcément le fait du citoyen tartampion autoproclamé juriste qui veut juger le juge que le fait des juristes eux-mêmes, du moins certains d'entre eux. Nombre d’entre les juristes répètent à longueur de journée, que « le droit est une question de lecture ou d’angle de lecture ». Le droit ou la vérité juridique ne serait nulle part, mais "dans la tête de chacun" et « tout dépend de la lecture de chacun. » Quoi de plus normal que des citoyens lamda qui l’ont entendu s’y adonnent à cœur joie? Certains mêmes sont convaincus que la seule différence entre les Koglweogo et les gens de robe, cest la robe qui fait la différence et appellent à confier à ces Koglweogo la connaissance des litiges entre citoyens, car, eux aussi ont "leur lecture"... qui va bien aux populations. Sous la Transition, on a vu des constitutionalistes repoussés jusque dans leurs derniers retranchements et traités de tous les noms d’oiseaux pour avoir exprimé un point de vue sur un sujet de leur domaine de compétence. On a écouté aujourd’hui encore un Directeur de juridiction qui soutenait, apparemment au sérieux, que « tout est question de lecture de chacun. »

A défaut de nous accorder sur tout, au moins,on peut s'accorder sur une chose simple: quand on dénie à quelqu’un « sa lecture d’une règle », on se doit d’argumenter et démontrer en quoi cette lecture est critiquable et que celle proposée en lieu et place est plus conforme à la lettre et à l’esprit du texte objet de débat. Plutôt que cela, on préfère procéder par voie d’autorité sans aucune démonstration ni argumentation. Présenté ainsi, il ne faut pas s’offusquer qu’après, le citoyen Tartampion, lui, procède aussi par voie de chicane et rejette tout en bloc et arbitrairement sans avoir besoin d’argumenter quoi que ce soit ! Pourquoi et au nom de quoi lui demanderait-on ce « sacrifice » pour lequel les professionnels eux-mêmes se sont auto-dispensés ? Jean-Etienne-Marie PORTALIS , avait distingué « l’interprétation par voie d’autorité» consistant à statuer par voie générale et règlementaire (prohibé par l’Art. 5 du code civil), de «l’interprétation par voie de doctrine» ou de démonstration, indispensable à l’office du juge et qui consiste dans chaque espèce «à saisir le vrai sens des lois, à les appliquer avec discernement et à les suppléer dans les cas qu’elles n’ont pas réglés». C’est là où les autorités judiciaires sont attendues, surtout celles qui, de par leurs fonctions, sont habilitées à expliquer à l’opinion, le sens des actes et des décisions, car, il ne faut pas s’y méprendre, nous sommes dans une société de communication.

 

Sinon, pour la décision de la Cour de Cassation, on ne voit vraiment pas où est le problème ! A la lumière de l’intervention du Procureur Général de la Cour de cassation et du Directeur de la Justice militaire, on peut dire que la question de procédure a porté sur trois dispositions du code de procédure pénale applicable devant le tribunal militaire. Il s’agit des articles 120, 122 et 130 du code de procédure qui prescrivent ce qui suit : « Art. 120. Tout mandat précise l'identité de l'inculpé ; il est daté et signé par le magistrat qui l'a décerné et est revêtu de son sceau. Les mandats d'amener, de dépôt et d'arrêt mentionnent en outre la nature de l'inculpation et les articles de loi applicables. Le mandat de comparution est notifié à celui qui en est l'objet par un huissier ou par un officier ou agent de police judiciaire, ou par un agent de la force publique, lequel lui en délivre copie. Le mandat d'amener ou d'arrêt est notifié et exécuté par un officier ou agent de police judiciaire ou par un agent de la force publique, lequel en fait l’exhibition à l'inculpé et lui en délivre copie. Si l'individu est déjà détenu pour une cause, la notification est effectuée par le surveillant chef de la maison d'arrêt, qui en délivre également une copie. Les mandats d'amener et d'arrêt peuvent, en cas d'urgence, être diffusés par tous moyens. Dans ce cas, les mentions essentielles de l'original et spécialement l'identité de l'inculpé, la nature de l'inculpation, le nom et la qualité du magistrat mandant doivent être précisés et notifiés à l'intéressé par l'agent chargé d'en assurer l'exécution. Le mandat de dépôt est notifié à l'inculpé par le juge d'instruction ; mention de cette notification doit être faite au procès-verbal de l'interrogatoire. »

« Art. 122. Au siège [des tribunaux de grande instance...] les mandats sont visés obligatoirement par le procureur [du Faso]. »

« Art. 130. Si l'inculpé est en fuite ou s'il réside hors du territoire [du Burkina Faso], le juge d'instruction, après avis du procureur [du Faso], peut décerner contre lui un mandat d'arrêt si le fait comporte une peine d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave. »

En l’espèce, le juge d’instruction n’avait requis que le visa du Commissaire du gouvernement qui le lui a donné, avant de s’aviser que c’était plutôt l’article 130 qui trouvait application puisque Fatou DIENDRERE et Guillaume SORO sont hors du territoire burkinabè. Voulant donc une régularisation en prenant des réquisitions en bonne et due forme pour sauver la procédure, il semble s’être heurté au refus du juge d’instruction qui a estimé, lui, que la demande d’avis n’était pas une formalité substantielle dont le défaut puisse gêner la procédure. Dès lors, il y avait un désaccord sur ce point, ce qui conduit le Commissaire du Gouvernement à saisir la chambre de contrôle qui lui a donné tort. Convaincu de son bon droit, il s’en est ouvert à la chambre criminelle de la Cour de Cassation qui lui a donné raison en jugeant que la demande d’avis s’impose bel et bien au juge d’instruction et qu’il s’’agit bien d’’une formalité substantielle dont il ne puisse se passer. Cette décision, en attendant les commentaires des arrêtistes dans les revues y habilitées, est une avancée inespérée dans la procédure pénale burkinabè. Désormais, chacun sait à quoi s’en tenir en la matière. En outre, la décision sauve la procédure et il faut se féliciter qu’elle soit intervenue à point ! Certaines organisations se sont demandées pourquoi c’est le Commissaire du gouvernement qui sollicite l’annulation et non les avocats des intéressés. Mais là encore, il convient de leur expliquer simplement qu'en procédure pénale, un absent n’a pas d’avocat ni ne saurait en avoir, car en l’état actuel de notre droit, un avocat assiste son client (ce qui suppose que ce dernier est présent) maos ne le représente pas (ce qui signifierait son absence). Par conséquent, ni SORO ni Fatou DIENDERE n’ont un avocat dans le dossier. Il est donc normal a priori que le Commissaire du gouvernement qui a aussi un intérêt au bon aboutissement des procédures recherchent leur régularité. Il y a d’autant plus intérêt qu’il est dans la procédure jusqu’au jugement et c’est lui qui devra affronter les parties adverses, notamment les nombreux avocats de la défense, pour discuter de la pertinence de la procédure non seulement devant la chambre de contrôle que devant la chambre de jugement, sans oublier les éventuelles voies de recours contre le jugement nt à venir ! Et à tous ces autres stades, le juge d’instruction n’est plus là. Quand il finit son instruction, sa mission est terminée.

Il faut donc qu’à tous les niveaux où se trouvent des juristes, de surcroit professionnels judiciaires, qu’ils prennent le temps de bien expliquer certaines règles simples. Pour revenir à la lecture des lois, les juristes sont interpellés. Il faut cesser de faire croire que tout est question de lecture ou d’interprétation, même lorsque la loi est claire. Comme le souligne le Pr Pierre MEYER, «l’interprétation recouvre en droit, les mécanismes intellectuels ayant pour objet de fixer la portée et le sens des règles de droit ainsi que de lever les ambiguïtés et les lacunes du système juridique (s’il y a lieu)» . A ce sujet, à entendre le Directeur de la justice militaire sur l’article 6 du Règlement UEMOA sur l’Harmonisation des Règles relatives à la profession d’avocat, que les autorités chargées de la poursuite  "l’ont respecté."tout en insistant sans le démontrer, que "out dépend de la lecture de chacun"...

Apparemment, c’est d’emblée la preuve supplémentaire que nulle leçon ne semble avoir été tirée de la décision de la Cour de Cassation qui est encore, pourtant, toute chaude.

J’y reviendrai.

Me Batibié BENAO

Avocat

La Gestion du pourvoi vue du cabinet d'Avocat

 

PROPOS D’AVOCAT SUR LA REQUETE DE POURVOI EN DROIT BURKINABE

 

                                                                                  

 

 

 

« Le pourvoi en cassation est une voie de recours d’une nature tout à fait particulière. C’est, virgule, il est vrai, une voie de recours extraordinaire, puisqu’elle n’est pas suspensive d’exécution et ne peut être formée que pour des causes limitativement déterminées, restrictions qui traduisent son origine étymologique : se pourvoir vient du vieux français « purveoir (pour et voir), qui signifiait « examiner attentivement. »[1]

 

Cette nature juridique du pourvoi qui appelle du juge de cassation une attention particulière ou, pour être redondant, attentive, fait du pourvoi, une voie de recours très encadrée. De par la loi, seuls ont le droit de s’y aventurer, les usagers qui convainquent un avocat de les y accompagner. En effet, et selon une formule de la même source doctrinale, « en réalité, ce n’est pas le procès qui est déféré à la Cour suprême, c’est seulement la solution de ce procès, contenue dans le dispositif, le pourvoi devant critiquer celui-ci et non pas les motifs ; plus précisément, la Cour de cassation ne juge la décision attaquée qu’à travers le pourvoi et ses moyens ; d’où l’importance pour les annotateurs des arrêts de la Cour, de lire les mémoires produits au soutien des pourvois et de ne pas se contenter de l’arrêt lui-même. »[2]

 

Le pourvoi ainsi défini et identifié a une valeur constitutionnelle rappelée par le Conseil constitutionnel pour qui « le recours en cassation constitue pour les justiciables une garantie fondamentale, dont, en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient seulement à la loi de fixer les règles »[3].

 

L’on peut donc légitimement s’interroger sur le point de savoir si la pratique du pourvoi met effectivement l’usager en situation de jouir pleinement de « ce droit fondamental ». Une levée de voile sur les statistiques de la Cour de cassation est peu flatteuse et, parfois, plonge l’observateur dans le pessimisme même : la proportion des pourvois déclarés irrecevables est de loin, plus importante que celles des pourvois rejetés ou déclarés bien fondés.

 

De fait, les acteurs du pourvoi, principalement, les avocats et les membres de la Cour, ne semblent pas satisfaits les uns des autres et ce, avec une étonnante réciprocité. L’intérêt d’un cadre d’échanges de vues pour donner à la requête de pourvoi toute son efficacité, est donc plus que jamais d’actualité.  

 

Il s’agira, dans la présente brève réflexion, à la lumière du droit positif burkinabé et même comparé, de décliner la perception de l’avocat sur l’ouverture du pourvoi matérialisée par l’introduction de la requête de pourvoi (I) car il semble que les nombreuses irrecevabilités récoltées par les avocats soient dues à l’inobservation de précautions à ce stade de la requête. Bien sur, tout aussi intéressante parait une analyse des problèmes soulevés dans la gestion ou l’instruction même du pourvoi (II).

 

  1. De l’ouverture du pourvoi

 

L’introduction d’une requête de pourvoi est une décision lourde de conséquence pour la partie qui en prend l’initiative. Les attentes du requérant étant sans doute importantes, il convient de cerner la préparation de la requête (A) ainsi que sa présentation (B)

 

 

 

  1. La préparation de la requête

 

La préparation de la requête de pourvoi est, en réalité, la phase la plus importante de l’efficacité de l’ultime recours dont il va saisir la plus haute juridiction de l’Ordre judiciaire. Ce temps de préparation, faut-il le souligner diffère fondamentalement selon que l’on est dans la matière pénale[4] ou dans les autres matières judiciaires[5].

 

En effet, selon l’article 603 du code de procédure civile, « -   Le pourvoi est formé par requête sur papier timbré, signée d’un avocat.

 

La requête doit :

 

  • indiquer les noms, prénoms et domicile des parties et contenir élection de domicile au Burkina Faso du demandeur au pourvoi ;

  • contenir l’exposé sommaire des faits et moyens, l’énoncé des dispositions légales qui ont été violées ainsi que les conclusions formulées ;

  • être accompagnée d’une copie signifiée, d’une expédition ou de la grosse de la décision attaquée.

 

Il doit être joint à la requête autant de copies qu’il y a de parties en cause. »

 

 

 

C’est sans doute à ce stade pré-juridictionnel que le requérant va rechercher précisément les « dispositions légales qui ont été violées » par le juge du fond. Il doit notamment argumenter sur ces violations en restant dans les limites tracées à l’article 597 du code de procédure civile, car si le pourvoi est ouvert il ne l’est que pour des causes limitativement énumérées : « Il y a ouverture en cassation pour les causes ci-après :

 

1°) violation, fausse interprétation ou fausse application de la loi ;

 

2°) excès de pouvoir et incompétence des juges du fond ;

 

3°) violation des formes prescrites par la loi, défaut, absence ou insuffisance de motifs ;

 

4°) contrariété de jugements. »

 

 

 

A ce stade, les préoccupations de l’avocat sont liées à l’indisponibilité de l’expédition de la décision attaquée. Comment en effet, l’avocat, peut-il se mettre à critiquer une décision dont il n’a jamais vu la motivation ? Cette préoccupation est d’autant plus fondée que tant la lettre que l’esprit de l’article 603 suscité suppose qu’au moment où l’avocat prépare la requête, il dispose de l’expédition de la décision attaquée. L’article en question dit exactement que l’expédition ou la grosse signifiée de la décision attaquée doit être jointe à la requête.

 

 

 

On le voit déjà, il se pose à l’avocat un problème d’identification même des raisons concrètes de son désaccord ou des griefs qu’il prétend avoir contre la décision attaquée. L’une des conséquences de cette situation est que l’avocat est obligé dans le meilleur des cas, de deviner les motifs de la décision attaquée. Cela crée bien de désagréments puisque, il arrive que les motifs de la décision soient totalement différents de ceux aux quels il a bien pu penser. En ce moment, le juge de cassation déclare inévitablement le pourvoi irrecevable puisque non seulement il n’a plus soutenu les moyens développés dans la requête, mais en outre, ceux développés ultérieurement dans son Mémoire ampliatif étant différents de ceux de la requête, ils sont considérés comme étant des moyens nouveaux. La mission de l’avocat de l’avocat devient dès lors une mission absolument impossible, en pratique.

 

 

 

Parallèlement à ce problème, il se pose en même temps, celui du délai de l’ouverture du pourvoi, surtout son point de départ.

 

 

 

Depuis l’édiction de cette règle qui est, en pratique, en conflit avec l’article 602, les avocats semblent être les seuls à n’avoir pas eu la « miséricorde » ou plutôt « la compréhension des sages ». L’article 602 prévoit que le délai pour exercer le pourvoi est de deux mois à compter du prononcé de la décision. En édictant par la suite à l’article 603 que l’expédition ou la grosse signifiée doit être jointes à la requête de pourvoi, il est évident que la loi a entendu mettre à la charge du juge l’obligation de rendre disponible cette décision dans ce délai au plus tard, pour permettre l’exercice du pourvoi. Le juge de cassation admet donc volontiers cette impossibilité de rendre disponible les décisions attaquées mais n’admet pas que le pourvoi soit différé dans les deux mois de la signification de l’expédition ou de la grosse de cette décision.

 

 

 

Plus exactement, la pratique en cours qui consiste à joindre à la requête un simple extrait du dispositif tiré du plumitif est-elle conforme à l’article 603 ? Les irrecevabilités dues à l’indisponibilité de l’expédition étant les plus importantes en nombre, n’est-il pas conforme à l’esprit des articles 602 et 603 combinés que le délai du pourvoi court pour compter de la signification de l’expédition ou de la grosse ?  

 

 

 

De notre point de vue, la réponse par l’affirmative s’impose pour cette dernière question. Certes, on peut émettre des réserves sur la pertinence d’une réponse allant dans ce sens quand on se réfère à l’article 502 alinéa 1 du code de procédure civile, pour qui « La notification des jugements, même faite à partir d'une expédition, fait courir le délai pendant lequel les recours peuvent être exercés, à moins qu'en vertu de la loi, ce délai n'ait déjà commencé à courir dès le jour du jugement. »

 

 

 

Il en résulterait qu’aux yeux du législateur, le délai pour exercer les voies de recours court en principe à compter de la notification de la décision attaquée, sauf si la loi prévoit qu’il courra pour compter du jour de la décision, c’est-à-dire, de son prononcé.

 

 

 

Cependant, la doctrine relève justement que le point de départ du délai devant intervenir pour compter de la signification de la décision attaquée « vient renforcer le caractère extraordinaire du pourvoi en cassation. »[6] C’est l’accomplissement de cette procédure de signification qui fait courir le délai.

 

 

 

On peut suggérer donc qu’en attendant la révision du code de procédure civile, la Cour de cassation développe une interprétation de la loi favorable à l’efficacité du pourvoi.

 

 

 

 

 

  1. La présentation de la requête

     

    La présentation de la requête est la forme sous laquelle elle est déposée au greffe de la Cour, en tant qu’acte de procédure. Hormis un cas malheureux de pourvoi présenté sous forme d’une correspondance adressée au Premier Président de la Cour courant 1995, il y a lieu de noter que l’avocat  présente le pourvoi sous la forme conventionnelle d’une requête intitulée comme telle, avec les éléments exigés à l’article 603 sus-cités.

     

    Pour autant, il arrive aussi assez fréquemment, que compte tenu de l’indisponibilité des décisions évoquée plus haut, l’avocat se contente d’indiquer dans une requête revêtant cette forme, qu’il forme pourvoi contre une décision qu’il désigne et promette de développer les moyens lorsque l’expédition de la décision sera disponible. Une telle pratique, si elle peut être comprise à cause des difficultés évoquées plus haut, n’est pas très loin de l’intention de pourvoi qui n’est pas un pourvoi. Mais en réalité, il y a lieu de se demander si elle n’est pas une solution médiane à l’indisponibilité des décisions combinée à l’obligation de respecter le délai deux mois à compter du prononcé de la décision attaquée.

     

    Outre cet aspect, il y a le timbre à apposer sur la requête. Mais il soulève moins de problèmes, à moins que le requérant n’oublie entièrement et que le conseiller n’oublie à son tour d’inviter à la régularisation[7], telle que définie par la cour de cassation[8].

     

  2. De la gestion du pourvoi

 

Il faut entendre par « gestion du pourvoi », la prise en charge du pourvoi jusqu’à ce que la Cour vide sa saisine.

 

Il va se poser dans cette phase de la procédure des difficultés liées à la mise en état du dossier d’une part (A), et au respect du principe du contradictoire d’autre part (B)

 

  1. De la mise en état du dossier de pourvoi

 

La mise en état du pourvoi débute par une vérification minutieuse de la requête de pourvoi par le Conseiller rapporteur. C’est ce qui résulte de l’article 608 du C.P.C. qui prescrit que « Dès l'enregistrement du pourvoi, le président désigne un rapporteur qui suit la procédure et demande communication du dossier au greffe de la juridiction qui a statué au fond.

 

Au cas où la requête ne serait pas conforme aux prescriptions de l'article 603 et ne serait pas accompagnée de la consignation de la somme, le rapporteur l'invite à régulariser le pourvoi avant l'expiration d'un délai qu'il fixe.

 

Faute par le demandeur d'avoir satisfait à cette invitation, le pourvoi sera déclaré irrecevable. »

 

On peut se poser la question de savoir si la requête peut être déclarée irrecevable pour cause d’irrégularité alors même que le rapporteur n’a pas invité le requérant à la régulariser. A ce sujet, la jurisprudence de la Cour n’est pas catégorique puisque, la Chambre civile seule semble n’admettre l’irrégularité que si l’invitation faite à régulariser le pourvoi a été sans suite favorable.

 

Il semble que l’irrégularité non « dénoncée » par le Rapporteur devrait être considérée comme étant couverte surtout lorsqu’il n’en résulte aucun préjudice pour une des parties. D’ailleurs, la plupart du temps, l’irrecevabilité est déclarée d’office[9] par la Cour.

 

Outre ce problème, il peut être noté celui de transmission ou communication du dossier de fond[10] par le Greffier de la juridiction dont la décision est attaquée.

 

Que faut-il entendre par dossier de fond ? Quelle en est la finalité en rapport surtout avec l’obligation du requérant de produire la décision attaquée.

 

En l’absence d’une définition de la loi, on peut admettre que  le dossier de fond s’entend de l’entier dossier connu par le juge du fond dont la décision est attaquée comprenant, bien sûr, la décision qui en est résultée. Dans ce cas, on comprend l’interrogation sur la finalité de cette communication. Il est peut-être vrai qu’elle vise à mettre la Cour en situation d’apprécier « attentivement » les contours du dossier afin de « juger » de la pertinence des moyens allégués en soutien à la requête de pourvoi. Mais, pour autant, on peut se demander si la communication de la décision attaquée à travers le dossier de fond par les soins du greffe ne règle pas le problème. La volonté du législateur, c’est de faire en sorte que la Cour dispose de la décision prétendument attaquée. Il doit être signalé malheureusement qu’une certaine tendance à la Cour semble indiquer que la transmission de la décision par le greffier ne dispense en rien le requérant de son obligation personnelle de le faire. On peut franchement s’interroger sur la pertinence d’une telle décision qui semble s’attacher beaucoup plus à la lettre du texte au détriment de son esprit. Faire part de son audace par l’interprétation téléologique des textes n’est pas douteux pour le juge de cassation, bien au contraire! 

 

A coté de ce problème, l’on remarque quelques fois, depuis un temps important en tout cas, que les délais impartis aux parties pour conclure en vue de la mise en état du dossier de pourvoi sont contraires[11] à l’article 611 du C.P.C. qui énonce que «Le défendeur a deux mois à compter de la notification prévue à l'article 610 pour produire un mémoire en défense.

 

Le mémoire en défense est produit en autant d'exemplaires qu'il y a de parties et est notifié au demandeur au pourvoi dans les vingt jours de son dépôt ou de sa réception. » Il est vrai toutefois que ce problème est plus facile à résoudre dans la mesure où, il semble manifestement qu’il s’agit d’un problème de dysfonctionnement, sinon, d’inattention des personnes qui émettent les injonctions de conclure.  

 

 

 

  1. Le principe du contradictoire à la Cour de Cassation

 

Le principe du contradictoire est au cœur de l’action du juge et participe de la crédibilité et de la légitimation de sa décision. La contradiction désigne le débat préalable à la prise de certaines décisions. Elle exige que certaines décisions ne puissent intervenir qu’après que les personnes intéressées ou concernées ont été mises à même de présenter devant un tiers impartial, de façon égalitaire et utile, leurs points de vue et leurs arguments sur le sens de la décision à prendre. La principale illustration de cette règle demeure, dans les droits d’inspiration française, le « principe du contradictoire », dégagé par les jurisprudences administrative et judiciaire et applicable dans le cadre de la procédure juridictionnelle.

 

S’agissant de la procédure de pourvoi, il faut reconnaitre que les échanges de conclusions entre les parties a toujours lieu. Toutefois, la Cour rend fréquemment des décisions sur la base de moyens d’office. En plus, il arrive que le Ministère Public, dans ses réquisitions, adopte une position tirée de moyens soulevés d’office. Dans ces cas, l’avocat n’a pas droit à la parole. Le motif invoqué à l’appui de cette pratique serait le fait que le parquet n’est pas partie au procès et que ses réquisitions sont destinées à la Cour.

 

Cependant, l’appréhension de la règle de la contradiction ainsi faite semble largement biaisée par l’utilisation de cadres conceptuels réducteurs, en particulier ceux du contentieux et des droits de la défense. Contrairement à cette conception de la contradiction, il faut noter que les implications de la règle de la contradiction sont en évolution, notamment sous l’influence de l’interprétation de la Cour européenne des Droits de l’Homme des règles du procès équitable : l’exigence ne concerne plus les seules parties au procès ni les seuls arguments versés au débat par un adversaire mais, elle s’impose plus largement tant à l’ensemble des arguments susceptibles d’influencer la décision finale, que ces arguments soient versés au débat par une partie ou par un tiers impartial : exemple du juge soulevant d’office un moyen[12] ; commissaire du gouvernement ou procureur[13] défendant, en toute indépendance, un point de vue sur l’affaire.

 

L’on fait remarquer à juste titre que « la logique à l’œuvre dans le déploiement progressif de l’exigence de contradiction résulte de la conjonction de deux facteurs : d’une part, le contexte de relativisation des valeurs et de « crise de l’intérêt général », résultat du scepticisme de la société civile envers la capacité des pouvoirs politiques et administratifs à découvrir seuls le sens d’un intérêt général qui serait immanent ; d’autre part, la redécouverte de la fonction, certes classique, du débat, comme instrument de découverte, sinon de la vérité, du moins de la meilleure décision possible. »[14]

 

De ce point de vue, « la contradiction cesse progressivement d’être perçue comme un instrument de défense des seuls intérêts subjectifs en litige, pour se dévoiler progressivement comme un outil de qualité de la décision, desservant une fonction objective de régulation de la complexité. »[15] 

 

Il faut donc souhaiter qu’à défaut d’un débat entre le parquet et les parties, il soit offert la possibilité de prendre connaissance des réquisitions avant l’audience et que les observations orales à l’audience puissent y être relatives. Cela est d’autant plus souhaitable que dans un domaine aussi sensible et ultime que la matière de cassation, il importe, ne serait-ce que par sagesse, de provoquer la contradiction afin que d’elle jaillisse une décision solide, quasi-purgée de son imperfectibilité relative et de nature à la doter d’une autorité scientifique, légitime, nécessaire et utile pour les générations futures.

 

 

 

 

 

 

 



[1]VINCENT (J) et GUINCHARD (S), Procédure civile, Dalloz, 25ème , 1999, p. 1011

[2] Ibid.

[3] Décision n°80-113 L, 14 Mai 1980, Rec. P. 61, Droit fiscal 1980 n°31, p.932 ; Le juge administratif français a, quant à lui décidé que « le droit de saisir une cour suprême, un principe général du droit » (V° Arrêt Canal du 19 Octobre 1962). Ce n’est malheureusement pas le cas du juge administratif suprême burkinabè, en témoignent les nombreux arrêts des Chambres réunies du Conseil d’Etat burkinabè en matière de pourvoi lorsque l’affaire a débuté devant le Tribunal administratif

[4] En effet, en matière pénale, si le formalisme lié à la succession des déclarations et dépôt au greffe des extraits de cette même déclaration est tout aussi redoutable et dans un très bref délai, il demeure que le pourvoi ne prend la forme d’une requête à rédiger avec minutie.

[5]Il s’agit des matières régies par le code de procédure civile, en l’occurrence les matières civiles, commerciales et sociales, en application de l’article 1er et l’article 592 dudit code.

[6] Voy. VINCENT (J) et GUINCHARD (S) op.cit. n°1508-1

[7] Voy. Art. 608 du C.P.C.

[8] En réalité, il existe une inconstance sur la notion même de régularisation dans les décisions de la Cour. D’une chambre à l’autre, elle est différente et même au sein de la même chambre parfois.

[9] Il faut remarquer que dans les moyens relevés d’office par la Cour il y a comme une violation permanente des articles 6 et 7 du C.P.C. qui s’imposent davantage au juge de cassation qu’au juge du fond.

[10] Voy. Art. 608 al. 1 sus-cités

[11] C’est un délai de UN mois qui donné depuis quelques temps, au lieu de deux mois.

[12]Le juge burkinabé de droit commun est malheureusement aussi, sinon plus, du moins autant encore très loin de cette règle de la contradiction que son collègue constitutionnel. Il est fréquent que le juge, retienne des motifs d’office sans avoir provoqué un débat préalable sur la position qu’il entend adopter ou qui est susceptible de l’être. L’on a parfois l’impression d’être dans un jeu de cache-cache procédural.

Le visage de la corruption dans la Justice

Le visage de la corruption dans la Justice

 

  L’Intégrité est à la base de la fidélité aux engagements moraux qui lient les hommes publics aux responsabilités de leur charge. Elle implique la capacité de trouver le juste chemin entre les obligations de la fonction, les convictions et compétences personnelles et la prudence politique.»[1] L’idéal défendu à travers cette affirmation de DOBEL est, pour le moins, partagé par ceux qui consacrent leurs temps et leurs vies, à lutter contre tout ce qui est de nature à altérer l’intégrité dans la société.

 

C’est en étant conscient que cette intégrité est susceptible de faire défaut chez certains usagers du service public ou certains dépositaires de pouvoirs publics que le législateur a prévu que des faits tels la corruption, le détournement, la concussion, l’extorsion, etc. reçoivent une qualification pénale et soient punis comme tels. Dans une République, l’institution chargée de veiller au maintien de cette intégrité, notamment par le « bâton » est bien la Justice, entendue au sens organique du terme. A côté d’elle ou à sa suite, il y a aussi l’Administration elle-même à travers les procédures disciplinaires[2].

 

Si donc la Justice est le censeur des déviances comportementales prévues et punies par la loi, elle devient en même temps une source intarissable de préoccupations citoyennes, voire de profondes inquiétudes lorsqu’elle se laisse pénétrée, sans résistance, par les mêmes déviances dont elle est sensée endiguer la propension dans le corps social. C’est, du reste, ce qu’il faut comprendre dans l’intransigeance apparente ou la sévérité avec laquelle l’opinion regarde les accusations de corruption au sein de l’appareil judiciaire.

 

Un premier constat paradoxal cependant: au Burkina Faso alors que la corruption est évoquée, invoquée  comme étant présente dans la justice, force est de constater que de mémoire de burkinabè, elle fut rarement convoquée dans  le prétoire ou dans un Conseil de discipline en ce qui concerne la Justice[3], exception faite du Barreau qui a connu et connait encore quelques rares, mais insuffisants sursauts de lucidité en la matière[4].  Le Corps des Huissiers a souvent eu aussi quelques rares moments de lucidité, en faisant sanctionner quelques cas[5].

 

Un second constat: lorsque l’on évoque la corruption dans la justice, certains s’empressent de demander s’il y a des preuves ou même de dire qu’il n’y a aucune preuve[6]… Cette trompette qu’empruntent sans réserve les pouvoirs publics tend à ressasser chaque fois l’absence de preuves[7]… et l’on semble dire que cette situation est consubstantielle à la nature même de la corruption.

 

L’on comprendra aisément la problématique que peut soulever un sujet comme le « visage de la corruption dans la justice ». Entreprise à la fois facile et difficile, s’il en est, tant il est vrai que la corruption parait insaisissable, sans visage, ou multi faciales… Tel l’air… on la sent partout, on la respire, sans la voir. N’est-ce donc pas en soi une gageure de vouloir lui donner un visage ou plutôt des visages? Car, donner un visage, c’est dés-anonymer, identifier avec précision dans ses liens avec des individus ou une catégorie de personnes, sinon des personnes identifiables.

 

La «difficulté» d’un tel sujet réside aussi, semble-t-il, dans « le visage de la justice » elle-même quand on évoque la corruption[8]. Mais, en même temps, à quoi renvoie la justice? Il faut prévenir d’emblée qu’elle ne peut renvoyer aux seuls magistrats, même si ceux d’entre eux qui s’adonnent à cette pratique, font savoir aux usagers que « c’est bien eux qui ont le dernier mot et non personne d’autre. »  Au-delà donc des magistrats, il faut entendre par « justice » toutes les personnes, professionnelles ou non, qui interviennent dans la chaine pré-juridictionnelle, juridictionnelle et post-juridictionnelle, voire para-juridictionnelle, dans la mesure où elles influencent de quelque manière que ce soit le cours de la justice.

 

La corruption étant, à l’unanimité, un fléau ou une « maladie » de la justice en particulier, pour la traiter, l’on a besoin de s’intéresser à la manière dont elle s’y manifeste, c’est-à-dire, analyser les formes qu’elle y revêt (II). Mais avant, il est indispensable de savoir comment se présente le patient dans son être, en l’espèce, la justice (I).

 

 

I-                   La Justice : un sujet fébrile dans un état fragile 

 

La Justice burkinabé, en tant qu’institution, se présente comme un sujet fébrile dans un état ou un contexte fragile, pour emprunter le jargon du milieu médical. Il suffit, pour s’en rendre compte, de vérifier ses constantes qui présentent une infrastructure peu rassurante (A) moulée dans une charpente tout à fait corruptogène (B).   

 

A-    Une infrastructure peu rassurante…

 

Le système judiciaire burkinabé est caractérisé, certes,  par un dispositif juridique relativement récent[9] avec des codes assez adaptés[10] même s’ils sont fortement inspirés du droit français dont ils copient les tares et les incohérences, parfois, sans discernement.  De loin, elle ne semble pas peser dans le concert des « pouvoirs de la République », elle qui clopine toujours derrière, toujours en train de courir après les autres pouvoirs, à les courtiser et à mendier même quelques strapontins : postes et avantages divers.

 

Une appréciation de son accessibilité laisse voir un accès mitigé et globalement insatisfaisant. L’accès géographique[11] s’est certes amélioré compte tenu de la création de plus d’une plus d’une dizaine de juridictions, et qui fait qu’il existe 24 Tribunaux de Grande Instance (T.G.I.) au moins, 26 Tribunaux Administratifs, Deux Cours d’Appel (C.A.), une Cour de Cassation (C. Cass.), un Conseil d’Etat (C.E.) et une Cour des Comptes (C. Comptes). L’accès financier ou matériel reste tout de même un problème, en dépit de la suppression du paiement des 4% des montants des demandes en litige par une Loi de 2008[12]. En effet, pour de nombreux justiciables, la justice demeure une affaire de riches ou d’érudits qui y vont discuter et disputer de grosses richesses… De son côté, l’Etat ne fait aucun effort pour corriger ce désastre, lui qui n’a jamais mis en place un véritable système d’aide ou d’assistance judiciaire au profit des plus démunis[13]. Il faut remarquer que cette situation joue, à elle seule, sur le taux de juridicité ou de judiciarisation au Burkina Faso[14].   Paradoxalement pourtant, c’est un système judiciaire qui parait surchargé: environs 456[15] magistrats toutes tendances confondues, 137 avocats[16], une trentaine d’huissiers de justice et commissaires-priseurs[17], quelques notaires (une vingtaine) pour une population de plus ou près de 16 Millions d’habitants. Le matériel de travail est quasi-inexistant et seules de rares solutions conjoncturelles y sont apportées selon la générosité des visiteurs nationaux ou internationaux[18].

Il y a donc comme une quasi-impossibilité de satisfaire les justiciables, avec une sorte de contrainte structurelle qui impose d’opérer des choix entre les affaires, transformant de ce fait, l’accès à une procédure accélérée en véritable privilège. Les procureurs aussi se disent surchargés et les officiers de police judiciaire (O.P.J.) apprécient parfois même l’opportunité des poursuites en jouant aux « tamis ». La  population carcérale est au-delà des capacités d’accueil, à telle enseigne que par moment, les juges sont presque « sommés » par le ministère de la Justice de prononcer des condamnations à de faibles peines, souvent assorties de sursis, afin d’éviter des révoltes ou afin de désengorger les prisons. Les Greffiers et les Gardes de Sécurité Pénitentiaires (G.S.P.) manquent de moyens de travail et disent vivre des conditions insupportables au point de tenter « le suicide » par l’immolation en guise de protestation[19]. Dans certaines prisons le taux de mortalité est très inquiétant, du fait des conditions de détention[20]

 

A côté de cette difficulté d’accès matériel, il faut noter que l’accès psychologique est, de loin, celui qui est le plus mis en cause. La justice n’a pas bonne presse ni ne jouit d’une bonne réputation auprès de l’opinion publique.  Perçue comme étant un instrument du pouvoir en place chargée de protéger les intérêts des puissants du moment, force est de constater malheureusement que certains faits ne sont pas de nature à démentir cette perception. On lui reproche de s’être laissée infestée par le fléau de la corruption qui l’a dévoyée. Elle serait  lente[21], avec des procédés ésotériques instaurés justement pour éviter l’avènement de la justice. Il devient indispensable alors de se prémunir quand on doit aller au prétoire. Il faut y  rechercher une personne ressource, un « correspondant » au palais. Ceux qui n’en trouvent pas ou n’en connaissent confient l’issue de leurs procédures à des marabouts, des charlatans et des gris-gris  de tous genres.  Etre condamné ou avoir tort, c’est un déshonneur et l’honneur n’ayant pas de prix, il faut le sauver quoi qu’il dût coûter[22].

 

De fait, l’on a le sentiment que tout est fait pour contraindre les justiciables à corrompre, afin de faire face à l’incertitude judiciaire. Le plus souvent, ils préfèreront les  solutions extrajudiciaires : recours aux administrations déconcentrées de l’État, aux structures communautaires (associations)[23], aux pouvoirs traditionnels[24], aux négociations à la porte de la justice (police judiciaire et parquet) et enfin aux solutions expéditives, comme les lynchages. C’est ce qu’il faut comprendre dans « la vindicte populaire » de ces derniers temps qui est l’expression la plus flagrante du manque de confiance dans la justice.

 

Dans ces conditions, et pour paraphraser un magistrat béninois, «résister à la tentation de corruption relève d’une guérilla spirituelle et solitaire.[25]»

 

B-    Une charpente corruptogène

 

Les textes relatifs à la gestion de la carrière des personnels de la justice sont caractérisés par une imprécision[26] quand ils n’offrent pas tout simplement beaucoup de  pouvoirs discrétionnaires[27].

 

De même, la plupart des textes en vertu desquels la justice est rendue ont les mêmes caractéristiques et inspirent la peur, l’insécurité et la suspicion. Le prétoire est le lieu des aléas par excellence. D’où la recherche d’une minimisation de la peur et de l’insécurité par le recours à des moyens de pression sur le détenteur du pouvoir discrétionnaire (pressions politiques et familiales, interventions d’amis, etc.).

 

De fait aussi, le dépositaire de ce type de pouvoir est enclin à en abuser et le monnayer. La crainte de la lenteur, et donc de la perte de temps et de ressources, constituent également un facteur qui pousse les justiciables, victimes ou coupables, à chercher les moyens de raccourcir les procédures. La victime est dans le suspens car, pour une virgule mal placée, dit-on, on peut passer du statut de victime à celui de bourreau. Même les spécialistes du système judiciaire ne sont pas épargnés, et les avocats en sont conscients, comme cet avocat qui confiait à ses clients que « la justice est un saut dans l’inconnu» et que quelle que soit la plaidoirie et l’évidence des faits, la décision finale appartient au juge[28].

 

D’aucuns sont même convaincus que la corruption est « une stratégie de recherche de maîtrise de cet inconnu. Ces trois éléments (peur, insécurité et suspicion) structurent tout le discours sur la corruption dans le système judiciaire, qui apparaît toujours comme une jungle. La menace d’y avoir recours suscite déjà en soi le déploiement de stratégies diverses pour l’éviter. »[29]

 

Le pouvoir discrétionnaire dans le système judiciaire, s’il repose certes sur des textes et des règles, a la particularité de laisser une grande place au libre arbitre de son détenteur. Chez les juges, ce pouvoir discrétionnaire est d’autant plus important qu’ils peuvent -théoriquement il est vrai- invoquer le principe de l’inamovibilité pour rester longtemps à leurs postes, et entretenir des réseaux. Il en est ainsi surtout de la fameuse « intime conviction[30] » en matière pénale. Le juge d’instruction, par exemple,  est « l’homme le plus puissant » qui décide de déposer ou pas[31], comme le Procureur qui décide de « poursuivre ou pas »[32], ou encore l’officier de police judiciaire, qui peut « garder à vue ou pas[33]

 

Enfin, il faut ajouter, sans aucune prétention d’exhaustivité, le mauvais exemple venant des plus hautes autorités, ainsi que l’impunité totale dont jouissent les auteurs de déviances dans l’appareil[34].

 

Tel est l’état de l’appareil judiciaire. La Corruption y existe bel et bien et, elle y a de beaux jours devant elle… Cette réalité est reconnue par tous les acteurs de l’appareil, à commencer par les acteurs principaux, les magistrats à travers leurs syndicats. Il s’agit maintenant de déterminer ses formes de manifestation.

 

 

II-                 Les  manifestations de la corruption dans la justice

 

 

Dans l’appareil judiciaire, la corruption revêt des formes diverses (B). De ces différentes formes, divers types d’acteurs tirent leurs principaux revenus (A). Ces formes et ces acteurs déterminent le visage de la corruption dans la justice.

 

A-    Divers acteurs atteints par la corruption…

 

D’emblée, il faut signaler que c’est à tort que la paternité de tous les maux de la justice, notamment en ce qui concerne la corruption en son sein, est attribuée à une seule corporation, à une génération donnée ou à une catégorie sociale donnée.

En réalité, la corruption a un visage trans-générationnel, trans-professionnel et trans-patrimonial.

 

Trans-générationnel d’abord parce qu’elle met en scène aussi bien des jeunes, des moins jeunes  que des vieux (anciens). Les jeunes sont pressés, les moins jeunes sont inquiets et les anciens se disent désespérés. Pour en rechercher les causes, il faut avoir les talents d’un anthropologue ou sociologue, ce que n’est pas l’auteur de ces lignes.

 

Trans-professionnel ensuite parce que toutes les professions y ont comptent des amateurs sérieux. Des magistrats s’y exercent ou y excellent au point où dans le milieu carcéral ou commerçant, certains ont des sobriquets et on connait le tarif de chacun. Des Avocats aussi y recourent comme principal moyen « de gagner » leurs dossiers, à telle enseigne qu’on parle depuis un certain temps de « SCPAM » ou de « monopoles » dans tel ou tel type de procédure. D’ailleurs, une étude menée par l’Ordre des Avocats en Novembre 2012 a révélé que les Avocats sont perçus par les enquêtés comme étant les principaux acteurs ou vecteurs de la corruption dans les palais. Quant aux OPJ, ils ne sont pas en reste car des éléments de leurs rangs y tirent bien de richesses et de nombreuses affaires relayées dans la presse ces derniers temps le montrent bien. Des huissiers et des notaires sont pareillement des dilettantes des pratiques corruptrices dans leurs offices, sans oublier certains experts judiciaires et mêmes certains membres des cabinets juridiques.

 

Trans-patrimonial enfin dans la mesure où les riches ne sont pas les seuls amateurs de corruption. Des personnes extrêmement démunies, pour des raisons différentes certes, se croient obligées aussi d’y recourir. En effet, si des personnes disposant de patrimoine important se vantent d’être « les propriétaires de la justice » et s’en donnent à cœur joie, des personnes, même pour qui l’on a commis des avocats d’office, croient devoir faire des promesses en vue de s’assurer une certaine sécurité ou issue judiciaire.

 

Il devient intéressant de répertorier les procédés corruptifs auxquels ont recours ces acteurs pour parvenir à ses fins.

 

B-    … Divers procédés corruptifs[35] 

 

Les principaux procédés qui ont la préférence des acteurs corrupteurs ou corrompus dans la justice se déploient sous des stratégies sournoises et selon des mécanismes bien connus.

 

1-    Des stratégies corruptives sournoises

 

Certains acteurs recourent à l’investissement corruptif : il consiste à faire un cadeau important à un magistrat précis, sans lien pertinent ni cause apparente, dans la perspective de bénéficier d’un retour d’ascenseur pour un dossier non encore enrôlé[36]. L’investissement corruptif peut aussi avoir lieu au moment où l’affaire est en cours, mais prendra la forme d’un contrat d’entreprise fictif par lequel le justiciable effectue des travaux, en réalité sans rémunération, au profit du magistrat[37].

 

A cette stratégie, il faut ajouter la constitution de relations pérennes : les fréquentations, les visites, en général sans raison valable… dans l’espoir de bénéficier des grâces du magistrat ou du justiciable[38].

Une autre stratégie en cours est celle dite du « sous-marin » où, le magistrat fait tout le travail et rassure le justiciable en le prévenant qu’il est « inutile » de prendre un avocat. Autrement, il s’attache les services d’un avocat avisé qui n’est alors qu’un simple « figurant volontaire » ou un « faire-valoir ». Chacun encaisse, bien évidemment, ses honoraires…

 

Il y a aussi la manipulation des lois par les pouvoirs discrétionnaires ou le flou qu’elles (les lois)  semblent donner. C’est le cas en matière de détention préventive, liberté provisoire, garde à vue, de désignation d’expert ou de syndic[39]

 

Le prétexte de la surchargeest une autre stratégie : le juge ou le greffier est surchargé et traite les affaires en fonction de leur ancienneté et tout est urgent. Pour être privilégié, il y a un prix à payer.

 

A retenir aussi, l’exploitation de la lenteur judiciaire: les rabats, les prorogations, les ajournements[40], les disparitions du rôle, voire les disparitions tout court… dans l’attente d’une meilleure proposition…

 

Toutes ces stratégies, non exhaustives mais évolutives, sont assises sur des mécanismes qui défient tous soupçons, mais dorénavant bien connus. 

 

2-    Des mécanismes bien connus des pouvoirs publics

 

L’intermédiation judiciairecomme mécanisme d’accomplissement de la corruption est l’un des principaux mécanismes: elle est utilisée lorsque le corrompu ou le corrupteur n’est pas sûr de la corruptibilité de son potentiel partenaire où lorsqu’il préfère le réseautage en vue de minimiser les risques de liens directs avec les « victimes ».

 

« Qu’ils soient statutaires ou non, ces intermédiaires sont présents en grand nombre. Ils sont le plus souvent des animateurs ou des relais de réseaux de corruption. Ce sont des spécialistes en raccourci procédural, en réduction de peines, ou en négociation pour la transformation des délits et crimes en non-lieux. L’intermédiation judiciaire peut être officielle (les auxiliaires de justices, comme les avocats),

ou notabiliaire (avec les commerçants et notables locaux)»[41], ou officieuse (des « margouillats », des huissiers ou clercs d’huissiers, des greffiers, et même des magistrats et des hommes politiques ou opérateurs économiques).

 

La collusion juges-avocats parait un des mécanismes decorruption les plus efficaces, puisque là les justiciables sont sans recours. Les procès « arrangés », absences répétées des avocats à la barre, plaidoiries déficientes lorsqu’ils complotent contre leurs propres clients, ou bien par la lenteur excessive ou l’exercice de voies de recours hors délais….

 

Du côté de certains greffiers et autres secrétaires, c’est autour de la délivrance des actes et décisions de justiceque se déploie l’essentiel des mécanismes corrupteurs. Des agents jouent sur la lenteur traditionnelle de l’administration judiciaire et l’étendent volontiers à la délivrance d’actes qui relèvent pourtant d’un travail de secrétariat.

 

Les interventionnismes politiqueset le harcèlement administratifrestent un des mécanismes les plus fréquents de la corruption judiciaire. Ils se font le plus souvent au niveau des magistrats du parquet (procureurs) au début des affaires. La stratégie de certains procureurs pour échapper aux pressions consiste alors à transmettre au plus vite certains dossiers aux juges d’instruction. Quant aux OPJ, aux juges et aux Avocats, ils vont résister aux risques de corruption en ébruitant les affaires dans la presse.

 

 

En conclusion, qui est responsable et que faire?

Le discours qui tend à dire que tout le « Monde est corrompu dans la justice » n’est pas satisfaisant, car il décourage ceux des acteurs qui croient encore que l’intégrité est une valeur et que la justice est un sacerdoce[42]. De même, le discours qui insinue éternellement « l’absence de preuve » ne saurait non plus prospérer, à l’heure des nouvelles technologiques où les services de renseignements étatiques savent même le nombre de fois que chaque burkinabé « a pété dans son lit »… mais ne s’intéressent qu’aux seules informations de nature à sauvegarder la longévité d’un régime politique qui s’interroge maladroitement sur son devenir et son avenir.

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Rapports entre l'Avocat et le Magistrat:égards ou respect?

Publié le 15/09/2012 à 16:30 par justafrik Tags : serments Avocat magistrats justice cours tribunaux défense reserve considération droits

« LE RESPECT DU AUX COURS ET TRIBUNAUX » :  L’AVOCAT DOIT-IL RESPECT AU MAGISTRAT ?

 

 

Plus qu’une surprise, l’énoncé du propos peut paraitre manifestement provocateur.

Si l’on admet, en effet, que les hommes, en société, se doivent un respect mutuel, le magistrat et l’avocat étant des hommes, il est évident qu’ils se doivent mutuellement respect… 

Mais, posé sous l’angle de leurs fonctions respectives, le sujet soulève non plus une question, mais un problème[1].

 

Le magistrat[2] et plus spécifiquement, le juge est l’acteur de la justice le plus généralement en vue, sans doute du fait de sa fonction juridictionnelle : il prononce la décision de justice, après avoir écouté les plaideurs. Son pouvoir a une source constitutionnelle[3].

 

L’avocat est non moins en vue, lui qui dans le système judiciaire remplit une fonction tout aussi cardinale, à savoir la défense, l’assistance et la représentation : il assiste, représente le justiciable et traduit ses prétentions en des termes juridiques, les explique sur le fondement d’une disposition légale ou d’antécédents jurisprudentielles pour éclairer le juge dans la prise de la décision. Cette fonction est, elle aussi, de source constitutionnelle[4], voire supra constitutionnelle[5].

 

Les deux fonctions (juridictionnelle et de défense) sont instituées et consacrées par la loi. Au juge elle donne des pouvoirs tout comme à l’avocat, des droits.

Appelé à « juger au nom du peuple »[6], le juge, dans la conduite du procès, se voit parfois « heurté[7] » aux moyens de défense avancés par l’avocat qui assiste l’une ou l’autre des parties au procès. L’avocat, dans sa liberté d’organiser la défense de son client, peut avoir parfois sa façon de dire les choses qui peut ne pas plaire toujours au juge.

Ce dernier n’hésite donc pas à attirer l’attention du défenseur sur son devoir de le respecter voire de lui obéir !

 

Bien sûr, ici et là, on ne croit pas devoir respecter, a fortiori obéir…

Il découle de là un antagonisme pertinent certes, mais conduisant à des spectacles parfois déplorables et pas toujours opportuns[8] , parfois préjudiciable aux intérêts du pauvre justiciable[9].

 

Pour ce faire, le point de savoir si l’avocat doit obéissance au juge, ou si à tout le moins il lui doit respect revêt un intérêt de pratique et d’éthique professionnelle.

 

Certes l’on peut croire a priori, que le problème est purement « francophone »[10]…c'est-à-dire une vraie fausse guerre autour de mots.

 

En plus, on ne comprendrait pas davantage un tel état des choses, quand on sait que les avocats font en général montre d’une politesse, d’une courtoisie, voire d’un respect parfois choquants pour le commun des mortels[11] , et qui répond pourtant aux bonnes règles de bienséance des gens de cours et, des gens de robes, des hommes de la paroles, pour reprendre une formule chère à Raymond MARTIN.

 

Sans qu’on ne le lui dise, l’avocat, de tradition professionnelle, sait que « de façon générale, il doit, dans sa conduite, ses propos, ses écrits, se comporter avec correction vis-à-vis des magistrats. La critique ne lui est pas interdite ni les protestations contre des attitudes contraires au respect des droits qu’incarne l’avocat ; »[12]

 

Mais, cela n’enlève pour autant rien au sujet qui garde tout son intérêt, car le plus souvent certains magistrats et avocats persistent à poser le problème explicitement ou implicitement en termes de rapports hiérarchiques.

 

Il ne semble pas superflu d’examiner les dispositions de loi y relative dans la mesure où elle peut, en plus des usages, déterminer les devoirs des acteurs de la justice et leurs rapports professionnels ou fonctionnels. Cet examen devrait situer chaque acteur sur les fondements de la polémique (I) et la bonne solution qui peut y être apportée (II).

 

I/      POLEMIQUE AUTOUR DE SERMENTS PROFESSIONNELS

 

 

L’avocat, tout comme le magistrat, avant d’exercer sa profession, prête serment devant l’Assemblée générale de la Cour d’Appel.

 

Les serments de l’avocat ainsi que du magistrat[13], constituent traditionnellement un acte préalable mais indispensable à l’exercice de leurs professions. Ce serment est, à juste titre, qualifié par Maître Patrick MICHAUD, de « sésame pour tout homme ou femme qui aspire à devenir avocat»

 

La teneur du serment de l’avocat burkinabé est ainsi libellée : « je jure comme avocat d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité et de ne jamais m’écarter du respect dû aux cours et tribunaux, aux bonnes mœurs et aux règles de mon Ordre. »[14]

 

Pour tout avocat donc, sa boussole dans l’exercice de sa profession devrait être son serment qui, à vrai dire, recouvre la quasi-totalité[15] des cinq vertus cardinales que l’on est en droit d’attendre de lui (dignité, conscience, indépendance, probité, humanité) d’une part, et les devoirs de l’avocat (respect des cours et tribunaux, des bonnes mœurs et des règles de son Ordre.)[16] d’autre part.

 

Certains magistrats se fondent, comme on ne peut plus s’en douter, sur la portion de la loi qui édicte que l’avocat ne doit jamais s’écarter du respect dû aux cours et tribunaux,pour conclure que l’avocat doit respect au magistrat ou au juge.

 

Pour l’avocat, il résulte de la loi un devoir pour lui de respecter non pas le magistrat ou le juge, mais plutôt la Cour ou le Tribunal.

 

Or justement, dans l’entendement des tenants de la thèse du « respect au juge », le vocable “cours et tribunaux“ renverrait à juge ou magistrat“.

 

Cependant, on le voit, une telle lecture de la loi a certes l’avantage de rappeler que les cours et tribunaux sont composés de juges, mais l’inconvénient de voiler la distinction entre les deux entités.

De fait, cet inconvénient n’est pas bien grave parce qu’en théorie comme en pratique, la confusion n’est guère concevable[17].

 

Si en effet, il est vrai que les cours et tribunaux sont généralement composés de magistrats, on ne saurait penser que le magistrat est subitement devenu lui-même un tribunal ou une cour, à moins que l’on ne soit dans l’hypothèse du juge unique.[18] Il est évident que dans ce dernier cas, le juge forme à lui tout seul la juridiction (sans y confondre sa personne) et comme tel, l’avocat lui doit respect en tant qu’au temps « t », il forme la juridiction.

 

En tous les cas, l’intérêt de la discussion se dessine mieux lorsque le magistrat croit devoir étendre ce devoir de respect, même en dehors de l’exercice de ses fonctions[19].

 

A cet effet, si l’on considère comme une vérité irréfutable que l’avocat ne puisse pas vilipender un magistrat dans un cabaret, il demeure tout aussi vrai que l’inverse est inconcevable.

 

Il est rapporté pourtant que des magistrats exigent à des avocats dans de telles situations qu’ils leur réservent bien plus qu’une déférence : une révérence, la même attention que celle observée à l’égard des juridictions.[20]

 

De fait, le véritable problème survient lorsque le magistrat entend par « respect », une déférence particulière, une obéissance. Il est des magistrats qui pensent -à tort il est vrai- que c’est l’avocat qui leur doit respect et que eux n’y seraient pas tenus.

 

Mais rigoureusement parlant, l’avocat ne doit[21] pas respect au magistrat. Il le respecte en tant qu’il est humain. Quant au fait de sa qualité de magistrat, l’avocat lui doit simplement égard : en dehors de ses contacts professionnels avec les magistrats, l’avocat doit montrer à leur égard le respect que mérite leur fonction.

 

Nul avocat ne peut trouver, en effet, aucun plaisir à plaider devant un juge qui a travaillé à enterrer de lui-même sa dignité, son indépendance, son honneur, sa personnalité et sa probité.

 

Ces égards, ce respect doivent être réciproques et, si cette réciprocité n’est pas observée, rien… strictement rien n’empêche à l’avocat de ne faire bénéficier de son respect au magistrat que grâce à la juridiction que celui-ci constitue ou participe à constituer.

 

Il en est ainsi parce que le respect dû à un individu ne peut être le fait d’un décret… ou autres lois ; le respect se mérite et celui qui ne fait rien pour en mériter ne peut y avoir droit.

 

Aussi choquant que cela puisse paraître, le magistrat d’aujourd’hui devrait se convaincre d’une évidence : le mythe du magistrat qui a les honneurs ou l’honneur attachés à sa seule qualité de magistrat relève du passé, mais vraiment du passé.[22]

 

L’honneur, le magistrat d’aujourd’hui doit le cultiver, l’inspirer, le susciter par sa conduite générale.

 

A ce titre, il devrait distinguer le respect qui lui est dû en tant qu’il est membre d’une juridiction qui siège à un temps donné d’une part, et celui qui peut lui être dû grâce à sa conduite générale d’autre part[23] : ce que l’on pourrait qualifier de “respect institutionnel ou formaliste“ et “respect réel ou sincère“.

 

C’est le lieu de déplorer l’attitude de certains avocats qui se comportent comme des valets -au sens propre- de magistrats.

 

Ceux-là ont en effet une attitude de résignation face aux dérives de ceux-ci. Ces derniers ont donc bien pu croire qu’il existe un lien de subordination de magistrat à avocat. Il devrait être inapproprié de dire que cela est faux tant il est évident que la profession d’avocat, pour qui la connaît, n’admet aucune subordination de quelque nature que ce soit.

La conduite de l’avocat, faut-il le rappeler, doit éviter deux écueils : la servilité et la familiarité. De coutume constante, l’avocat doit aux magistrats une déférence sans servilité, alliée au souci de sa propre dignité et de son indépendance ; se présentant à eux en robe, dans une correction de la tenue et du langage, l’avocat doit être reçu non pas comme un solliciteur encombrant ou un importun ou encore un concurrent…mais, comme un auxiliaire de justice - et non du juge - qui partage avec les magistrats et au même titre qu’eux, l’honneur de participer à l’œuvre de justice ; car s’il est vrai que le juge dit la loi, il est aussi vrai que l’avocat contribue à la lui indiquer et à la lui lire…

 

S’il est vrai que le juge détient le pouvoir judiciaire, l’avocat, tout en étant un contre pouvoir à ce pouvoir, contribue à le rendre légitime vis-à-vis du peuple qui en est le véritable dépositaire.

Comme cela est enseigné en procédure pénale,  lorsque le prévenu se présente devant le juge, celui-ci anéantit son sang froid. L’avocat est institué par la loi pour rétablir l’équilibre et rassuré le justiciable …parce qu’il est indépendant.

 

En cela, l’on comprendra pourquoi la FNUJA[24] de France a approuvé la réforme annoncée par le Président NICOLAS SARKOZY qui tendrait à renforcer cet équilibre. Il a dit en effet, que « la justice ne peut être un pouvoir à coté des autres, sans aucun contrôle ni contre-pouvoir. (…) C’est pourquoi je veux que le Conseil Supérieur de la Magistrature soit composé majoritairement de non-magistrats, que vous puissiez le saisir si vous vous estimez victimes de négligence ou de faute d’un magistrat(…) ».

 

 Il en ressort que ce renfort a posteriori d’un contre pouvoir au pouvoir du magistrat, bien que discutable,  peut être salutaire.

Cette démarche a d’ailleurs été toujours souhaitée par certains avocats dans tous les Etats qui se veulent démocratiques. Il est bien que les amis de la magistrature comprennent-en tout cas pour ceux qui le veulent- qu’il s’agit de les responsabiliser et non de les accuser, que l’indépendance ne peut s’accompagner d’une impunité, car elle a un prix .

 

L’avocat ne doit donc pas se résigner à tout accepter en souriant douloureusement avant d’aller se plaindre avec ses confrères « sous la foi du palais » !

 Ni le pouvoir Exécutif, ni le Législatif ni le Judiciaire…

 

Les avocats burkinabé devraient bien le savoir particulièrement, eux qui en 1997 ont croisé le fer avec les autorités étatiques qui avaient voulu enlever à l’avocat son indépendance[25], par une loi adoptée par l’Assemblée Nationale. L’enjeu était tel que le Bâtonnier d’alors[26], pour protester contre cette loi a démissionné de sa charge de bâtonnier. Le Conseil de l’ordre en a fait de même.

 

Apparemment certains avocats ne semblent pas avoir pris ni compris la mesure d’un tel combat.

 

Il en est qui pense que le tout n’est pas d’être indépendant. Dans ces conditions, le lien de subordination devient tel qu’il n’aurait jamais pu exister même entre un employeur et son employé. Il s’installe alors une véritable servilité, l’avocat se disant qu’une protestation ou une certaine conduite de sa part occasionnerait un « sabotage » de ses dossiers.

On peut admettre que ce n’est plus un respect ou des honneurs que cet avocat éprouve pour le magistrat, mais certainement une crainte.

De fait, on le voit, la question du respect ne peut pas être une question de vocabulaire mais une question de charisme, de principes de vie, de conduite sociale et professionnelle... une question d’éthique tout court.

 

Seulement, s’agissant de dispositions légales, il est bien de fixer les limites du concept car les juristes ont cette réputation de discuter autour de terminologies vocabulariales creuses, prenant les causes pour des effets et les effets pour des causes : ils en oublient les conditions.

Le malheur est que le système judiciaire en prend un coup.

 

On comprend pourquoi de nombreux législateurs ont reformé le serment de l’avocat pour mettre la Défense à l’abri de l’orgueil des frères jumeaux[27].

 

II/     DE LA NECESSECITE DE REFORMER LE SERMENT DE L’AVOCAT BURKINABE.

 

 

La plupart des dispositions légales relatives aux serments prêtés par les avocats  francophones sont calquées sur celles du législateur français en la matière.

 

Une telle situation se justifie sans grande difficulté par les liens historiques entre la France et les pays concernés[28].

 

De fait, le système judiciaire dit moderne et toutes ses règles d’organisation sont typiquement français[29]. Ils ont été légués par le colonisateur, avant les indépendances.

 

En ce qui concerne particulièrement la profession d’avocat en HAUTE-VOLTA (devenue BURKINA FASO[30]), le premier avocat à plaider devant les tribunaux a été français[31].

 

Une analyse du serment de l’avocat français montre une évolution dans la formulation afin de le débarrasser de toute obscurité, insuffisance ou, silence.

 

Le législateur burkinabé qui a hérité de l’une des formulations du serment l’a gardée[32].

De fait, il ne l’a pas réadapté malgré les évolutions enregistrées tant dans la profession des magistrats que des avocats[33].

 

A l’origine, le serment de l’avocat fut d’ordre religieux et était une soumission religieuse.

En effet, le principe d’un serment de l’avocat remonte au droit romain. Le code justinien précisait au Titre I de son livre III que l’avocat doit jurer sur la Bible de ne rien négliger dans sa mission de défense ni de ne jamais occuper pour une cause reconnue mauvaise.

 

Ce sont ces engagements principiels qui ont été repris dans l’Ordonnance de PHILIPPE III Le Hardi du 23 octobre 1274, relativement à l’avocat français, en ces termes :

« Les avocats, tant du parlement que des baillages et autres justices royales jureront, en latin ; sur les saints Evangiles qu’ils ne se chargeront que des causes justes, et qu’ils les défendront diligemment et fidèlement ; et qu’ils abandonneront dès qu’ils connaîtront qu’elles ne sont point justes. Et les avocats qui ne voudraient point faire ce serment seraient interdits jusqu’à ce qu’ils l’aient fait. Les salaires seront proportionnés au procès et au mérite de l’avocat, sans pouvoir néanmoins excéder la somme de trente livres. Les avocats jureront encore qu’au-delà de cette somme ils ne prendront rien directement ou indirectement.

Ceux qui auront violé ce serment seront notés de parjure d’infamie, et exclus de plein droit de la fonction d’avocats, sauf aux juges à les punir suivants la qualité du méfait. Les avocats feront ce serment tous les ans. Et cette ordonnance sera lue tous les ans aux assises. »

 

Ce serment a évolué ; par dilatation mais dans le cadre strictement religieux.

Ainsi, en 1344, en plus des principes ci-dessus, l’avocat devait s’engager à ne pas  user de moyens dilatoires ni d’affirmations inexactes ou étrangères à la cause.

A la fin de l’Ancien régime, l’avocat a vu son serment ramener à quelques mots : jurer devant les magistrats du parlement « d’observer les ordonnances, arrêts et règlements de la Cour. »

 

Les avocats devaient renouveler leur serment chaque année, mais à partir de cette période, le renouvellement paraissait plus comme étant un rituel.

Vers 1700, seuls le Bâtonnier et les Anciens qui assistent à la rentrée judiciaire renouvellent le serment en jurant sur les Evangiles à eux présentés par le Premier Président du Parlement.

 

De cette soumission religieuse, le serment de l’avocat, a pris les allures d’une véritable allégeance aux autorités politiques.

 

Suite à la Révolution bourgeoise de 1789, le Barreau fut supprimé et remplacé par « le défenseur officieux ».

Il fallait attendre 1804 pour assister à la naissance du Barreau avec une profession réglementée. Les avocats devaient alors jurer « de ne rien dire ou publier, comme défenseurs ou conseils, de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique, et de ne jamais s’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques.[34] »

 

Le serment n’était donc plus prêté sur la Bible.

 

Face à la pression de l’opinion et des avocats eux-mêmes, l’empereur NAPOLEON 1er se vit obliger d’accepter le rétablissement des Ordres d’avocats, comme organes indépendants.

Cependant, au serment de 1804, il substitua un serment politique par lequel l’avocat jurait « obéissance aux constitutions de l’Empire et fidélité à l’empereur ».Il jurait en outre de « ne rien dire ou publier de contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique et de ne jamais s’écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques, de ne jamais conseiller et défendre une cause que je ne trouverais pas juste en mon âme et conscience. »[35]

 

Après, ce fut le tour des Bourbons- plus subtiles dans la formulation de l’allégeance- de décider que l’avocat devait jurer « d’être fidèle au Roi et d’obéir à la Charte constitutionnelle »[36]

 

Le Roi Louis-Philippe, lui aussi, Roi tout de même… se montre intéressé par le serment qu’il a cru devoir modifier. Pour lui, l’avocat doit promettre en outre de ses engagements contenus dans le serment de 1804, « fidélité au Roi des Français, obéissance à la charte constitutionnelle et aux lois du royaume[37]. »

Par la suite, un décret du 06 avril 1954 (art.23) a supprimé les notions de fidélité au chef de l’Etat mais conservait les autres engagements. De fait il ne demeurait pas moins politique et attentatoire aux principes d’indépendance et liberté de l’avocat qui a bien sûr la liberté dans le cadre de la défense, de critiquer acerbement une loi qu’il estimerait à juste titre incohérente ou inopportune.

 

Donc, en 1972, par un décret du 09 juin (art. 23), et bien de textes antérieurs, au lieu de se cantonner à des interdictions, à un libellé négatif, le serment a eu son caractère positif, en harmonie avec les principes de dignité, confiance, indépendance et humanité. Il était ainsi disposé : 

«  Je jure, comme avocat, d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience, indépendance et humanité, dans le respect des tribunaux, des autorités publiques et des règles de mon ordre, ainsi que de ne rien dire ni publier qui soit contraire aux lois, aux règlements, aux bonnes mœurs, à la sûreté de l’Etat et à la paix publique. » 

 

La deuxième République, le second empire et la troisième République ont été plus subtiles encore que les régimes précédents, lorsqu’ils supprimèrent l’engagement de « fidélité »[38]

 

En ce qui concerne le gouvernement de Vichy, il s’adonna, malgré lui, à un jeu de mots, après avoir tenté vainement de faire renaître de leurs cendres la fidélité[39] et l’obéissance au régime politique

 

Ainsi, reprenant le serment de 1804, il remplace « sûreté de l’Etat » par « sûreté extérieure », et « respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques » par « respect dû à la justice et aux autorités de l’Etat français », avant d’ajouter que l’avocat ne doit rien dire ou publier de contraire « aux règles de l’honneur professionnel et de la confraternité[40] ».

 

C’est en 1972, qu’il a été exigé de l’avocat, pour la première fois, qu’il respecte les « règles de son Ordre » et surtout d’exercer sa profession ave « dignité, conscience, indépendance et humanité »[41].

 

Bien sûr, les avocats français notamment se sont battus farouchement pour l’amélioration de cette dernière version du serment jugé toujours politique. Cela a conduit les autorités publiques à le reformer en ces termes, par la loi du 15 juin 1982 en son article 1 L. :

« Je jure, comme avocat d’exercer la défense et le conseil avec dignité, conscience indépendance et humanité[42]. »

 

On remarquera d’abord que le serment est passé de la source décrétale à la source législative. Il n’était plus possible, en effet, au pouvoir exécutif de le modifier à son bon loisir.

 

Ensuite, on notera avec bonne satisfaction que le « respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques » a été supprimé du serment. Cela était devenu nécessaire du fait de l’abus de certains magistrats relativement à cette ancienne formulation[43].

 

Le but visé à travers cette nouvelle formulation était de garantir au mieux la liberté de défense. C’est a

Limites de pratiques administratives

Publié le 14/09/2012 à 19:08 par justafrik Tags : article roman société travail cadre texte lecture element burkina éléments

Limites de certaines pratiques administratives: entre ignorance et abus ?

 

Par Batibié BENAO

Avocat

 

 

Parce qu’il exerce son magister le plus souvent aux cotés de personnes contre ou envers ou en présence d’agents publics, l’avocat est parfois confronté à des obstacles provenant desdits agents. Les mobiles de ces derniers sont parfois officieux car, l’avocat se proposant, par essence, d’« aider » celui qui le sollicite, il trouve sur son chemin, des personnes qui prétendent aussi « aider » ou étouffer cette aide. Les obstacles sont généralement le fait d’agents particulièrement intéressés.

 

Il faut s’occuper, pour l’instant d’examiner les motifs officiels avancés qui sont tout aussi erronés qu’incohérents.

Depuis quelques temps, des agents publics s’érigent de plus en plus fréquemment et systématiquement en obstacles au libre exercice de la profession d’avocat.

Il s’agit notamment de certains agents de l’inspection du travail et de ceux chargés de la surveillance des détenus dans les Maisons d’Arrêt et de Correction. Tandis que les agents de l’inspection du travail dénient aux avocats leurs droits de représentation en phase de tentative de conciliation (I), les agents de la garde de sécurité pénitentiaire (GSP), eux, soutiennent que les avocats, pour avoir accès aux personnes détenues et sollicitant leurs services, doivent faire la preuve de leurs constitution aux cotés desdites personnes. (II)

Ces décisions, qui paraissent fort abusives méritent néanmoins d’être examinées en droit, afin de situer chacun sinon sur les limites de ce qu’il croit détenir comme savoir en la matière, du moins sur les limites de ses pouvoirs ou attributions. 

 

I/          L’Avocat en phase de tentative de conciliation

Selon certains inspecteurs du travail, en disposant que « les parties peuvent se faire assister aux séances de conciliation par un employeur ou un travailleur de la même branche d’activités ou toute autre personne de leur choix »[1] le législateur n’aurait pas prévu la faculté pour les parties de se faire représenter. Il aurait même, à les en croire, écarté voire interdit cette faculté aux parties. Par voie de conséquence, « il ne devrait pas être possible à l’avocat de représenter une partie à la phase de conciliation ». (Sic !)

Cependant, il n’est pas besoin de fournir un effort particulier d’analyse pour se rendre compte des faiblesses d’un tel raisonnement qui peut aboutir sur des impasses au détriment des parties elles-mêmes. (B) Mais avant, hormis cette courte vue des agents publics concernés, il faut souligner la méconnaissance de l’essence même de la profession d’avocat telle qu’elle découle de la loi. (A)

 

A/       De la méconnaissance du champ d’application du mandat de l’avocat

Le droit de recourir à un avocat constitue, au titre des droits de la défense, un droit fondamental à caractère constitutionnel. Le service public dont l’avocat est chargé de l’exécution est, faut-il le rappeler, prévu par le constituant burkinabé du 02 juin 1991[2] qui ne fait que s’inscrire dans l’esprit des conventions internationales[3] auxquelles le Burkina Faso est partie contractante. L’on peut raisonnablement penser que c’est pour lui conférer un contenu concret que le législateur a expressément réaffirmé l’importance de ce droit en prescrivant que « Toute personne peut recourir à l’assistance d’un avocat tant devant les instances juridictionnelles ou disciplinaires que devant les administrations publiques. »[4]

Il se posera alors la question de savoir si cette faculté de se faire « assister » devant les « administrations publiques » implique dans l’esprit du législateur, l’exclusion d’une faculté de se faire « représenter ».

Pour cerner l’intérêt du débat, il parait judicieux de clarifier ces deux notions que sont l’assistance et la représentation. Elles sont deux notions différentes. En effet, alors que la mission de représentation[5] « emporte pouvoir d’engager le mandant et obligation d’accomplir en son nom et pour son compte tous les actes de procédure nécessaires ou utiles à l’instance »[6], celle d’assistance, elle, bien que non définie par la loi, consiste à prodiguer des conseils en cours de procédure à une personne et même à présenter sa défense à l’autorité, sans pour autant l’engager[7]. La plupart du temps, l’avocat représente non seulement son client mais aussi l’assiste de sorte que l’on a souvent confondu les deux missions.

Pour ce qui est du problème présentement posé, notamment le point de savoir si les formulations de la loi sus exposées (aussi bien le code du travail que le code de procédure civile) excluait la faculté à une personne de se faire représenter, il convient de rechercher la solution dans le droit positif burkinabé.

D’abord, l’article 5 de la constitution précitée édicte que « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. »[8] 

Cela implique bien évidemment que tout ce qui est légalement interdit, défendu ou non autorisé doit l’être de façon expresse. Toutes les fois que l’interdiction légale, ou l’impossibilité légale existe, elle doit être consacrée par un texte qui le dit sans équivoque. L’on ne peut prétendre de ce point de vue, se prévaloir d’une interdiction ou d’une faculté défendue à une personne sans indiquer la disposition légale qui les prévoit. L’interdiction, en droit comme dans toute autre discipline, ne peut consister à un silence.

Or justement, il n’apparait nulle part dans les textes invoqués par l’inspection du travail, une interdiction faite aux parties de se faire représenter.

L’on aurait néanmoins compris cette position qui parait fort hasardeuse des agents publics si au moins la formulation de la loi avait été exclusive par l’introduction ou l’usage de la formule « ne…. que »[9]. Ce n’est pourtant pas le cas.

 

Au demeurant, l’argument de l’inspection du travail contient en lui-même les causes de son mal fondé. En effet, sur quel fondement l’inspecteur se croit t-il saisi lorsqu’il reçoit une plainte rédigée par un avocat au nom de son client ? N’est-pas la représentation ? Les principes élémentaires de la procédure juridique et judiciaire enseignent que la représentation se fait entre autres, par les écritures (plaintes, conclusions, requêtes diverses…). Sauf à ne pas comprendre lui-même ce qu’il prétend défendre sur ce point, l’inspecteur ne peut alors aller jusqu’à fonder son procès verbal de non conciliation ou de conciliation, le cas échéant, sur les éléments de la plainte rédigée et signée de l’avocat et dire à la fois que la représentation serait légalement imprévue ou impossible.

Ce qui intrigue dans cette pratique administrative, c’est l’impasse qu’elle est susceptible d’engendrer

 

B/ De l’impasse juridique de la pratique incriminée

 

Il est à présent évident que la lecture sus exposée, telle qu’elle est faite par certains inspecteurs et contrôleurs du travail et même certains magistrats, parait côtoyer manifestement l’absurdité juridique, si ce n’est qu’elle peut conduire à une impasse.

 

En effet, à supposer l’hypothèse d’un travailleur licencié et qui est incapable de se rendre à l’inspection du travail pour raison de maladie par exemple. Va-t-on refuser sa non représentation motif tiré de la loi ? Ou va –t- on l’admettre « exceptionnellement », tout en sachant que cette « exception » n’est pas non plus prévue par a loi ? 

Si on suit la logique de l’interprétation sus critiquée, le travailleur devrait tout faire pour se présenter en vue de se faire assister le cas échéant. S’i ne peut se présenter personnellement, alors sa plainte ne devrait pas être traitée. En conséquence, il serait condamné à mourir peut-être, sans obtenir l’examen de ses prétentions. L’on se demande bien si telle est la volonté du législateur.

 

Mieux, dans l’hypothèse même où l’une des parties décède avant le début de la procédure, va –t- on dénier à ses héritiers de poursuivre son action ? Evidemment non, pourrait-on bien penser ! Mais si l’on admet qu’ils puissent poursuivre l’action de leur défunt auteur, n’est-ce pas encore en vertu de la représentation ? Dans la logique interprétative sus critiquée, le défunt se devrait normalement de comparaitre. Plus qu’une absurdité juridique, ceci est sinon une absurdité tout court, du moins, de la plaisanterie qui ne doit pas avoir été, certainement, du gout du législateur.

 

Qui plus est, l’on se demanderait davantage pourquoi, une partie serait obligée de se présenter personnellement devant l’inspecteur alors qu’elle serait libre de ne pas le faire devant le tribunal ? Est-ce à dire que l’inspecteur est plus une autorité que le juge qui juge au « nom du peuple » ? N’est-ce pas vrai que qui peut le plus peut le moins ?

 

Enfin, comment les personnes morales répondent – elles aux convocations de l’inspection du travail ? N’est-ce pas par le mécanisme juridique de la représentation ? Nul n’a jamais vu une société en ville sur du vélo, bien sûr ! Mais d’aucuns rétorqueront que les personnes morales ne peuvent qu’être représentées et que l’on pourrait accepter cette distinction.

Cependant, pareil raisonnement est juridiquement critiquable car, l’on ne peut distinguer là où la loi ne distingue pas. Soit que la représentation est possible et elle l’est alors pour tous. Soit qu’elle n’est pas possible et la règle s’applique à tous. Si une distinction doit être opérée selon que l’on est en présence d’une personne morale ou d’une personne physique, cette distinction ne peut être le fait ni du juge ni de l’inspection du travail qui ne peuvent quand même pas se substituer au législateur. S’ils le font, c’est, en droit, l’exemple-type de l’excès de pouvoir qui est justiciable devant les tribunaux administratifs et autres juridictions de degré supérieur, le cas échéant.

 

Bref, comme il est donné de le constater, tout comme la plupart des pratiques administratives mauvaises, cette pratique n’a aucun fondement légal. Elle est même incohérente, inopportune, injustifiée et inappropriée et elle doit être urgemment corrigée par ses partisans.

Dans un Etat de droit démocratique ou supposé tel, la pratique des textes recommande des agents de l’administration et des usagers et praticiens du droit une humilité partagée car, nul n’est propriétaire de sa charge ou de sa fonction. Seule la loi est et doit être la cause ou le fondement de tout pouvoir. En dehors d’elle, il n’est pas sûr que certains citoyens aient eu la capacité morale, physique ou même cognitive de rencontrer d’autres. Mais en attendant, il appartient aux avocats et à leurs clients de faire respecter la loi en initiant les procédures qui conviennent contre les pratiques administratives abusives. Laisser violer le droit, dans un Etat de droit, tue le droit et l’Etat de droit.

 

(A suivre)

 



[1] V. article 320 du nouveau code du travail.

[2] V° article 4 de la constitution burkinabé du 02 juin 1991

[3] Déclaration universelle des droits de l’homme de 1958 ; le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ; la charte africaine des droits de l’homme et des peuples…

[4] V° article 4 de la loi 16-2000 AN du 23 Mai 2000 portant réglementation de la profession d’avocat

[5] Il ne faut pas confondre la représentation à l’action dite ad agendum et la représentation à l’instance dite ad litem. La première touche à l’exercice même de l’action en justice à la place du titulaire incapable ou empêché alors que la seconde consiste à confier à autrui le soin d’accomplir des actes de procédure dans le cadre de l’instance.

[6] V° article 53 du code de procédure civile burkinabé,

[7] Cette notion non définie par la loi parait insaisissable. Ainsi, alors que le TGI de Paris décide que « Celui qui assiste un plaideur, sans le représenter, ne peut pas l’obliger envers son adversaire par ses propos ou par ses écrits. »(Paris, 17 mars 1980, D.1980.IR.464), la Cour de cassation française estime que « l’avocat ne peut engager la partie qu’il représente que par les conclusions qu’il dépose en son nom » (Civ.14 janv.1981, JCP 1981.IV.109.)

[8] V° Constitution du 02 juin 1991 Précitée

[9] L’article 320 aurait alors été formulé à peu près de la façon suivante : « les parties ne peuvent que se faire assister »

Révision constitutionnelle burkinabé du 11 juin 2012

Publié le 14/09/2012 à 18:41 par justafrik

Révision constitutionnelle du 11 juin 2012 : plus de questions en suspens que de réponses.

Par Batibié BENAO

Avocat à la Cour

 

La Constitution du 11 juin 1991 a eu 21 ans le 11 juin 2012. C’est à ce 21ème anniversaire aussi qu’elle a subi sa septième révision. En rappel, la constitution avait été déjà révisée le 27 janvier 1997 , le 11 avril 2000 , le 22 janvier 2009 , le 30 avril 2009 et le 18 mai 2012 . Si le pays a connu une certaine « stabilité » politique depuis 1991, la constitution a subi, elle, de véritables tribulations, des plus pertinentes aux plus impertinentes.

L’espérance de vie ou plutôt de révision de modification de la constitution aura été de trois (03) ans, et c’est du bien mauvais constitutionnalisme en soi. En attendant, de revenir dans les prochaines éditions sur la portée de fond de cette énième révision, il s’agit ici de faire le point des « nouveautés » apportées dans la version révisée de la Constitution (1) et d’ouvrir la réflexion sur certains aspects juridiques qui semblent rester en suspens, du point de vue des implications de cette révision (2).

1- Les « nouveautés » issues de la révision constitutionnelle du 11 juin 2012…

Il faut prévenir que l’on ne saurait être exhaustif dans ce bref commentaire du texte non encore promulgué. A la lecture de la loi issue de l’adoption de l’Assemblée Nationale, l’on peut noter deux types de nouveautés : les unes sont des créations (a) et les autres sont des modifications (b).

a- Des nouveautés-créations

Les « nouveautés-créations » sont contenues d’abord dans le préambule. Celui-ci s’est vu renforcé par l’introduction et la prise en compte de considérations relatives à la chefferie coutumière et traditionnelle, à la problématique du genre et l’inclusion de certaines « valeurs républicaines ». Plus précisément, en ce qui concerne ces valeurs républicaines, le constituant se dit « déterminé à promouvoir l’intégrité, la probité, la transparence, l’impartialité et l’obligation de rendre compte comme valeurs républicaines et éthiques propres à moraliser la vie de la nation ». Il reconnait « la chefferie coutumière et traditionnelle en tant qu’autorité morale dépositaire des coutumes et traditions dans notre société ». Pareillement, il reconnait que « la promotion du genre est un facteur de réalisation de l’égalité de droit entre hommes et femmes au Burkina Faso ». L’on note ensuite des nouveautés-créations dans le dispositif de la Constitution, consistant essentiellement en l’introduction de cinq nouvelles dispositions. Celles-ci portent sur la constitutionnalisation du Médiateur du Faso , du Conseil Supérieur de la Communication et l’amnistie consacrée au profit des anciens chefs d’Etat de 1960 au 11 juin 2012 . b- Les nouveautés-modifications Il s’agit des modifications apportées à des dispositions ou institutions déjà existantes et devenues « nécessaires ». Ainsi, l’on peut noter que cinquante six (56) articles ont été modifiés à ce titre. L’on note à ce sujet, des modifications relatives au pouvoir exécutif. Sont de celles-là, des dispositions spécifiques à la fonction présidentielle, telle la fixation d’un âge plafond de 75 ans à la candidature aux élections du Président du Faso (art. 38), les modalités d’exercice des fonctions de Président du Faso en cas d’empêchement ou de vacance de poste ou de pouvoir (art. 43) et le principe de la nomination d’un Premier Ministre issu de la majorité parlementaire (art. 46). D’autres dispositions concernent les rapports entre l’exécutif et le Parlement, notamment, le principe de consultation du Président du Sénat lorsque le Président du Faso envisage de recourir au référendum ou de dissoudre l’Assemblée Nationale (art. 49 &50), la définition des modalités de communication du Président du Faso avec le Parlement (art.51), l’obligation de requérir l’avis du parlement pour la nomination à certains emplois et fonctions de la haute administration civile et militaire (art. 55), la consultation du Président du Sénat par le Président du Faso en vue de l’exercice des pouvoirs exceptionnels (art 59) et le principe de sanction de la Déclaration de Politique Générale du Premier Ministre par l’Assemblée Nationale (art. 63). Quant aux dispositions relatives au Pouvoir législatif, l’on relève la restauration du bicaméralisme avec la création d’un Sénat en plus de l’Assemblée Nationale, ainsi que la répartition des attributions de ces deux institutions, leurs pouvoirs, leurs fonctionnement, leurs droits et privilèges respectifs (art. 78 à 96). Il doit être souligné la maitrise, désormais, par le parlement de son ordre du jour (art. 118). Naturellement, la définition de la loi a changé et la loi est désormais « une délibération, régulièrement promulguée, du Parlement », ainsi que la détermination de son domaine, la procédure de son adoption (art. 97 à 114, 120 à 123). Enfin, l’on retiendra qu’au titre des modifications concernant le Pouvoir Judiciaire, il y a la création du Tribunal des Conflits (art. 126) définie comme « juridiction de règlement des conflits de compétence entre juridictions » (art.127) en attendant qu’une loi organique vienne fixer sa composition, son organisation, ses attributions et son fonctionnement et la procédure y applicable. Le Président du Faso et son premier Ministre restent les Maitres du Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), respectivement Président et 1er Vice Président, le Président de la Cour de cassation n’en étant que le deuxième Vice-président ( ?) (Art. 132). L’on ne manquera pas de s’interroger sur l’utilité d’une telle vice-présidence qui n’est certainement pas la solution au problème de renforcement de l’indépendance du CSM, telle que décriée par une large opinion somme toute dominante. Il s’agit, en effet, de la « création d’un poste » de deuxième vice-président, comme le mentionne d’ailleurs le Rapport de l’Assemblée sur le projet de loi constitutionnelle, ce qui est loin d’être une préoccupation encore moins une panacée. Enfin, l’on note une modification de la composition du Conseil Constitutionnel, ses attributions, compétences et modalités de saisine. Il passe en effet de dix (10) membres à au moins douze membres, auxquels il faut ajouter les anciens chefs d’Etat qui deviennent membres de droit et à vie, selon toute vraisemblance, puisque le terme de leurs mandats n’est pas enfermé dans une durée et est donc indéfini. Le président du Conseil n’est plus nommé mais il est élu par ses pairs. On retiendra aussi que le Président du Faso, le Président de l’Assemblée Nationale ainsi que le Président du Sénat sont obligées de nommer, parmi les personnalités de leurs choix, au moins un Juriste (art. 153). Outre le Président du Faso, le Premier Ministre, le Président de l’Assemblée Nationale, le Président du Sénat pourra saisir le Conseil. Au lieu de un cinquième (1/5ème) des membres de l’Assemblée Nationale comme jadis, c’est désormais un dixième (1/10ème) des membres soit de l’Assemblée, soit du Sénat qui pourra aussi saisir le Conseil à titre principal. (art.157 al. 1). La saisine à titre incident, mais sur renvoi préjudiciel du Conseil d’Etat ou de la Cour de Cassation (art.157 al.2). Le Conseil constitutionnel peut, enfin, s’auto-saisir, s’il le juge nécessaire, pourvu qu’il soit compétent (art. 157 al. 3). En somme, d’un point de vue formel, l’on note que le législateur s’est efforcé le plus souvent de garder l’ordre et la référence des articles du texte, ce qui est une bonne chose en soi. Au fond, certaines des nouveautés exposées plus haut sont critiquables et il faut souhaiter qu’un débat objectif et de haut niveau s’ouvre à ce propos dans les années à venir.

2- … et les interrogations en suspens

La première des interrogations, si l’on se rapporte à l’intérêt manifesté par l’opinion vis-à-vis de cette révision reste évidemment l’amnistie. D’abord, théoriquement, l’amnistie doit revêtir trois caractères. Elle doit être réelle, c’est-à-dire, accordée en raison de la nature des infractions, du but poursuivi par leurs auteurs et de l'époque où elles ont été commises; elle doit être générale, c’est-à-dire s'appliquer aussi bien à des infractions de droit commun qu'à des infractions politiques ou militaires; elle doit être impersonnelle, en ce qu’elle ne désigne pas nommément les personnes qui en bénéficient, mais seulement les infractions amnistiées ou les catégories de délinquants auxquelles elle s'applique. Une lecture de l’article 168.1 de la constitution révisée montre qu’il semble s’écarter de ces exigences théoriques. Cela est perceptible dans la mesure où aucune infraction n’est visée ni dans sa définition ni dans sa nature, et qu’aucune catégorie de délinquants n’est désignée, sauf à considérer que les « chefs d’Etat » de la période référencée sont une catégorie de délinquants en soi, ce qui ne parait pas exact au regard des dispositions pertinentes du code pénal. Mieux, même si elle parait innommée, la loi n’est pas moins personnelle, lorsqu’elle dispose au profit de personne (s) que tout le monde connait nommément. Certes, on peut rétorquer que l’impersonnalité est atteinte dès lors qu’aucun nom n’est cité, mais pareille interprétation peut paraitre hasardeuse. Du point de vue formelle, il est permis même de se demander si l’amnistie peut être consacrée par la constitution, à partir du moment où l’article 101 de la Constitution la range dans le domaine de la loi. D’un point de vue pratique, notamment politique, l’on peut raisonnablement s’interroger sur l’opportunité de l’amnistie accordée aux chefs d’Etat de 1960 au 11 juin 2012. En rappel, les chefs d’Etat de cette période sont au nombre six. Trois d’entre eux ne peuvent être intéressés à cette amnistie, puisqu’étant décédés, une éventuelle action publique aurait été éteinte à leur égard. Restent Saye ZERBO, Jean Baptiste OUEDRAOGO et Blaise COMPAORE. Les deux premiers cités vaquent paisiblement à leurs occupations depuis plus d’une trentaine d’années qu’ils ne sont plus Chefs d’Etat. Une action publique les concernant aujourd’hui est totalement prescrite quelle que soit la nature de l’infraction, sauf bien sûr les crimes du statut de Rome qui ne sont pas prescriptibles. Blaise COMPAORE de son coté, du moins, à travers le porte parole du Gouvernement, affirme ne pas se sentir concerner particulièrement par cette amnistie, puisqu’ « il n’est pas l’objet de poursuites » et n’a rien à se reprocher, à ce qu’il semble. Pourquoi donc une amnistie ? Etait-il vraiment utile ou opportune si chacune des personnes censées être les bénéficiaires prétend ne pas se sentir concernée ? N’y a-t-il pas, au fond, au plan politique ou intellectuel tout court, une déshonnêteté déconcertante ou plutôt une absence de repentir actif ? Vincent ROCA, pourrait répondre- et il a raison- qu’« En dehors du français, il y a une seule langue nationale que la constitution tolère : la langue de bois ! » Chacun sait que Blaise COMPAORE est le bénéficiaire exclusif de cette amnistie. Mais, le Constituant aurait pu s’en passer dans la mesure où l’intéressé prétend ne pas être particulièrement concerné. Une autre interrogation est celle relative au point de savoir justement si la loi d’amnistie peut s’appliquer aux faits du 15 octobre 1987. Sur cette question, il convient d’interroger la loi constitutionnelle. Elle dit exactement, à son article 168.1 qu’ « une amnistie pleine et entière est accordée aux Chefs d’Etat du Burkina Faso pour la période allant de 1960 à la date d’adoption des présentes dispositions ». Il en découle clairement que l’amnistie – qu’elle soit à moitié pleine ou vide- est à accordée aux Chefs d’Etat ès qualité. Son bénéfice ne tient pas à des faits, mais d’abord à une qualité : celle de chef d’Etat. Le 15 Octobre 1987, le Chef d’Etat connu était bien Thomas SANKARA en tout cas, jusqu’à l’intervention de sa mort. Aucune autre personne n’avait revendiqué concurremment et régulièrement cette qualité si bien qu’aucun chef d’Etat, en cette qualité, n’a pu participer ni provoquer la mort de Thomas SANKARA. En tout cas, Blaise COMPAORE n’a acquis cette qualité qu’après la mort de Thomas SANKARA, précisément le 19 octobre 1987, en prenant la tête du Front Populaire. Il en résulte que dans l’hypothèse d’une participation aux faits ayant entrainé la mort de Thomas SANKARA, aucun des chefs d’Etat susnommés ne peut ni ne saurait bénéficier de l’amnistie. Il en est de même de toute infraction qui aurait été commise par les susdits entre 1983 et le 15 octobre 1987, période à laquelle, seul Thomas SANKARA était président, de sorte que les infractions qui auraient été commises en qualité de chef d’Etat ne sont couvertes par l’amnistie qu’à son seul bénéfice et en cette qualité seule. En d’autres termes, l’amnistie couvre les faits commis dès l’instant où la personne est devenue chef d’Etat. A supposer que Thomas SANKARA ait été renversé par un coup d’Etat et que sa mort ne soit intervenue qu’une fois son successeur installé, celui-ci, même s’il avait participé à cette mise à mort, bénéficierait de l’amnistie, du moins a priori. Finalement, on se demande si « la porte de sortie » que certains observateurs voient en cette amnistie est une porte vraiment ouverte ou juste entrebâillée ? A chacun sa réponse, mais rira bien qui risque de rire le dernier… L’autre implication de cette amnistie ès qualité est que, rigoureusement, seuls les actes non détachables de la qualité de chef d’Etat pourront être couverts. Or, il n’est point des attributions d’un Chef d’Etat de porter atteinte à l’intégrité physique ou à la vie des citoyens du pays qu’il dirige, de sorte que de faits pareils, s’ils sont avérés sont parfaitement étrangers à la qualité de chef d’Etat et sont donc détachables. La troisième interrogation est la consécration de la qualité de membres de plein droit et à vie du conseil constitutionnel aux anciens chefs d’Etat. Lors de la préparation de la loi, le Gouvernement avait justifié cette « trouvaille » par le fait que les anciens chefs d’Etat « sont des personnes ressources à associer dans la vie d’une noble institution comme le Conseil Constitutionnel ». Il a été mentionné en plus que « le Burkina Faso n’innove pas, car dans bien de pays, les anciens chefs d’Etat sont membres de droit du Conseil Constitutionnel ». On peut reprocher à cette consécration ainsi qu’à la justification qui la sous- tend, une légèreté évidente. En effet, il n’est évident qu’un ancien chef d’Etat soit plus une personne ressource qu’un ancien professeur d’université de Droit constitutionnel. En outre, le Conseil Constitutionnel, s’il est noble, ne l’est pas plus que les autres institutions de la République. Le Conseil Economique et Social (CES) ou le Sénat, par exemple, ne sont pas moins nobles. Pourquoi alors c’est précisément au Conseil Constitutionnel qu’il faut que ces anciens Chefs d’Etat déposent leurs valises, même quand ils auraient été « déguerpis » la plupart du temps ? L’interrogation va de soi, ce d’autant plus que, pour le Gouvernement, « dans un souci d’inclusion et de réconciliation, l’option prise est de les y admettre sans considération de la nature du régime politique qu’ils ont eu à diriger. » En clair, le Conseil sera obligé d’accueillir en son sein des personnes qui auraient fait un coup de force à la Constitution elle-même, notamment par putsch ou par coup d’Etat. N’est-ce pas une aberration burkinabè ? On peut surtout reprocher à cette « nouveauté » un mimétisme sans discernement. Ce n’est pas parce que dans d’autres pays cela se fait qu’il faut le faire ! L’on sait que la France le fait, mais même là-bas, l’on s’élève encore contre cet « insoutenable paradoxe ». « (…) seule de toutes les démocraties occidentales, la République française fait de ses ex-présidents des membres perpétuels d'une juridiction constitutionnelle. En Italie, par exemple, les présidents de la République au terme de leurs fonctions sont nommés sénateurs à vie. Mais dans une instance juridictionnelle dont la mission première est de juger en droit si des lois votées sont conformes à la Constitution, en quoi la présence à vie des anciens présidents est-elle requise ? » L’on se rend d’autant plus compte de l’aberration burkinabé, lorsque l’on considère les données contextuelles historiques qui ont conduit la France à faire de ses anciens chefs d’Etat des membres du Conseil constitutionnel. « Seule l'histoire explique cette exception, cette bizarrerie française. En 1958, tandis que sous l'autorité du général de Gaulle et la férule de Michel Debré s'élaborait la Constitution de la Ve République, se posa la question très secondaire de la condition faite aux ex-présidents de la République. Le général de Gaulle entendait que le président René Coty, qui l'avait appelé à revenir au pouvoir, bénéficiât d'une condition convenable sous la Ve République. Or la IVe République traitait avec pingrerie ses anciens présidents. Au terme de leur mandat, ils bénéficiaient d'une retraite équivalente à celle d'un conseiller d'Etat. Pareil traitement parut mesquin au général de Gaulle, par ailleurs pour lui-même totalement désintéressé. Il considérait qu'il y avait là pour le président Coty et pour son prédécesseur, Vincent Auriol, une forme d'ingratitude de la République à laquelle il convenait de remédier. Le Comité consultatif constitutionnel proposa donc de nommer les anciens présidents membres à vie du Conseil constitutionnel nouvellement créé. Ainsi, les anciens présidents bénéficieraient d'une fonction très honorable, convenablement rémunérée, et qui ne requerrait qu'une faible activité de leur part, puisque, outre le contentieux des élections nationales, le Conseil constitutionnel ne statuait sur la constitutionnalité des lois que lorsqu'il était saisi par les plus hautes autorités de l'Etat, le président de la République, le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat, le premier ministre. Dans la conjoncture politique de l'époque, ces saisines n'avaient rien d'accablant : de 1958 à 1975, le Conseil constitutionnel connut soixante saisines, soit entre trois et quatre par an en moyenne... Cette solution parut élégante à tous égards. Le président Coty s'en trouva bien, qui siégea jusqu'à sa mort, en 1962, au Conseil constitutionnel. En revanche, le président Auriol refusa de siéger après 1960, manifestant son opposition à la pratique des institutions de la Ve République voulue par le général de Gaulle. Les décennies ont passé, et la situation d'origine s'est transformée. En premier lieu, la condition matérielle des anciens présidents de la République s'est améliorée au fil des présidences. Leur donner une rémunération complémentaire comme membre du Conseil constitutionnel ne paraît plus nécessaire, contrairement à ce qui était le cas en 1958. Mais c'est au regard du Conseil constitutionnel lui-même que la présence à vie des anciens présidents s'avère comme une aberration institutionnelle. » Par ailleurs, l’on se demande pourquoi, dans ce contexte dit de « cherté de la vie » sur fond de crise économique mondiale, le Constituant choisit d’augmenter, en plus du nombre des députés, de celui des sénateurs, celui des membres du Conseil Constitutionnel? En résumé, il ne s’agit que d’une esquisse simplement descriptive, superficielle certes, mais qui se veut de poser le débat. Il y a eu plus de questions que de réponses sans doute, mais, c’est, semble-t-il, l’essence même de la matière qui le commande. Il existe de nombreuses autres interrogations en suspens, non évoquées ici, mais qui ne manqueront pas de l’être ultérieurement, il faut le souhaiter, par des voix plus autorisées. En attendant, si elle est promulguée, ce sera cette version qui sera désormais notre Constitution. Cette série frénétique de révision fait penser malheureusement ( ? ) à cette boutade de Jacques BAINVILLE pour qui, « Les systèmes, comme les constitutions, sont les jouets avec lesquels s'amusent les personnes graves. » Il faut espérer que ce ne soit pas le cas, longtemps, pour le Burkina Faso car nul n’est sûr de sortir ni gagnant ni vivant dans ce jeu.

Notes sur la déchéance du Député OUALI

Notes sur la déchéance du député OUALI :

la candidature de Blaise COMPAORE aux élections de novembre 2010 devait –elle être validée?

 

 

 

Introduction

 

1. S’interrogeant sur l’état de la justice constitutionnelle burkinabé, à l’occasion des journées du Conseil Constitutionnel, courant 2009, Monsieur Luc Marius IBRIGA[1], se demandait : « le gardien du Temple en est – il un ? ». Un des membres dudit Conseil[2] qui co-animait la Conférence, avait dit à ce propos que l’interrogation du Professeur était provocatrice, avant de concéder que la lecture critique sur le Conseil Constitutionnel devrait amener celui-ci à améliorer son activité juridictionnelle et républicaine.

 

2. Plus d’un an après, l’interrogation demeure et se transforme par moments en un problème qu’il faut absolument résoudre.

 En effet, le Conseil Constitutionnel burkinabé a fait parler encore de lui depuis sa Décision n°2010-015/CC du 15 juin 2010 sur le mandat d’un député, Louis Armand OUALI.

 

3. En l’espèce, le sieur OUALI  Louis Armand a été élu député en 2007 sous la bannière d’un parti politique dénommé le RDB[3] pour un mandat de cinq ans. En 2009, le législateur, par une loi du 30 avril[4], a prescrit que « tout député qui démissionne librement de son parti ou de sa formation politique en cours de législature est de droit déchu de son mandat et remplacé par un suppléant ». Courant mars 2010, le député sus nommé s’est retrouvé dans le bureau d’un autre parti politique, l’UPC[5].  Le 24 mai 2010, le Président de l’Assemblée Nationale saisissait le Conseil Constitutionnel afin de s’entendre « constater et prononcer la déchéance » du député OUALI Louis Armand. Le 15 juin 2010, le Conseil fera droit à cette requête du Président de l’Assemblée Nationale, par la décision sus évoquée.  

 

4. Cette décision, au-delà des commentaires politiques légitimes qu’elle suscite ça et là, soulève des questions juridiques intéressantes. C’est notamment le point sur la compétence du Conseil constitutionnel et  le principe du contradictoire devant lui qui sont sans doute des questions de forme (I). L’on ne manquera pas de s’interroger aussi sur le sens et la portée de cette décision relativement à la question de fond dont le juge constitutionnel a été saisi (II).

 

 

I/- Sur la forme de la décision du Conseil Constitutionnel

 

5. Un adage bien connu des juristes veut que « la forme tient le fond en l’état ». Autrement dit, une décision n’est réputée valable au fond que si l’institution qui en est l’auteur a respecté pour autant les règles de forme prescrites par le législateur.

L’on s’intéressera ici à la compétence du Conseil (A) et au principe du contradictoire devant lui (B). 

 

A.  Sur la compétence du Conseil Constitutionnel

 

6. Lorsqu’elle est saisie d’une requête, toute juridiction ou institution doit d’abord se prononcer sur sa propre compétence, tant matérielle que territoriale.

L’on remarquera d’emblée que le Conseil Constitutionnel n’a pas vraiment satisfait à ce préalable. Plus exactement, il semble l’avoir tenté mais sa motivation sur ce point est sinon inexistante, du moins lacunaire. En effet, le Conseil Constitutionnel s’est contenté d’affirmer d’emblée, sans le démontrer, que sa saisine par une autorité habilitée, « pour connaître d’une question relevant de sa compétence est régulière ».

 

7. En vérité, cette appréciation de sa saisine, in limine litis, est, d’un point de vue procédural, critiquable. La raison en est que  la question de la régularité de la saisine est une question de recevabilité. A ce titre, une telle question devait être abordée par le Conseil après qu’il eut apprécié et retenu d’abord sa compétence. Une juridiction de degré inferieur aurait adopté cette démarche que sa décision aurait été exposée à la censure d’une autre juridiction de degré supérieur.

 

8. Néanmoins, pour justifier sa compétence, le juge constitutionnel burkinabé déclare d’entrée de jeu que «  les mandats conférés par le suffrage universel prennent fin avant leur terme dans certaines circonstances déterminées par les lois et règlements »et que « la constatation de l’existence de ces circonstances est une tache juridictionnelle confiée au Conseil Constitutionnel par les articles 43, 85 alinéa 2 de la Constitution du 11 juin 1991 et l’article 202 du code électoral ».

 

9. Mais cette tentative de justification de sa compétence par le juge constitutionnel  n’est guère satisfaisante.

En effet, aucun des articles invoqués ne traite de la compétence du Conseil Constitutionnel à constater et prononcer la déchéance d’un député.

 

10. D’abord, l’article 43 de la constitution visé par le conseil est relatif à la vacance de la Présidence du Faso. A ce titre, l’on cherche vainement en quoi il pourrait fonder sa compétence sur cet article. A moins de croire que le Conseil a raisonné sur le fondement de l’adage qui veut que « qui peut le plus, peut le moins » ! Dans cette logique, on pourrait croire effectivement qu’étant donné qu’il est compétent pour constater la « vacance » de la Présidence du Faso, il devrait l’être aussi pour constater la « déchéance » d’un député. Mais cette analyse pèche, de toute évidence, car le Conseil devra peut-être s’apprêter aussi à prononcer la déchéance de tous ces conseillers municipaux, directeurs et autres tabliers dont les fonctions ne sont assurément pas «supérieures » à celle de Président du Faso. On le voit, cette démarche est extrêmement critiquable. Ce serait d’ailleurs à tort que le juge procède ainsi car le procédé d’interprétation, au demeurant inédit, peut conduire à des conclusions peu heureuses en droit.  

 

11. S’agissant ensuite de l’article 85 alinéa 2 de la constitution, il traite de la déchéance de droit du député qui démissionnerait librement de son parti ou de sa formation en cours de législature. Cet article n’indique nulle part l’institution compétente pour constater cette déchéance[6].

12. Quant à l’article 202 du code électoral, il dispose précisément que « Le député dont l’inéligibilité se révèle après la proclamation des résultats et l’expiration du délai de recours ou qui, pendant son mandat, se trouve dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le code électoral est déchu de plein droit de la qualité de membre de l’Assemblée nationale.

La déchéance est constatée par le Conseil constitutionnel, à la requête du Président de l’Assemblée nationale ou du Président du Faso. En outre, en cas de condamnation définitive postérieure à l’élection, la déchéance est constatée, dans les mêmes formes, à la requête du ministère public. »  

Cette disposition ne parait pas non plus propre à asseoir la compétence du Conseil. La raison toute simple est qu’elle fait allusion à la déchéance due à la survenance d’un cas d’inéligibilité ou à une condamnation définitive postérieure à l’élection.[7]

Or, le cas de Monsieur OUALI n’est ni l’un ni l’autre, si bien que le visa de cette décision est tout aussi critiquable.  

Sur ce point en effet et à titre de droit comparé, il faut remarquer l’article 60 de la constitution sénégalaise énonce exactement la même règle que celle contenue dans l’article 85 alinéa 2 sus évoqué. Mais lorsqu’en juillet 2002, il a été saisi d’une requête aux fins de constatation de la déchéance d’un député qui avait démissionné de son parti, le Conseil Constitutionnel sénégalaiss’était déclaré incompétent[8] au motif que cela n’entrait pas dans ses attributions que de prononcer ou constater la déchéance d’un député qui a démissionné de son parti. Cette décision du juge sénégalais rappelle, au demeurant, celle du juge constitutionnel français en date du 06 août 2009[9]. Le conseil constitutionnel français, saisi d’une demande de constatation de la déchéance du mandat d’un député avait motivé sa compétence par ce qu’ « il appartient au Conseil constitutionnel de constater, en application de l’article L.O. 136 du code électoral, la déchéance encourue de plein droit par M. MASDEU-ARUS de son mandat de député du fait de l’inéligibilité résultant de la condamnation définitivement prononcée à son encontre ». Cette précision faite sur le fondement de sa compétence qu’il désigne comme étant l’article L.O.136 du code électoral laisse penser que le juge français, s’il était saisi d’une demande déchéance comme celle de l’affaire dite OUALI, il n’aurait retenu sa compétence que si un texte la prévoyait.

Il est à noter que le  vide juridique sur la question de la compétence du Conseil Constitutionnel sénégalais à constater la déchéance d’un député démissionnant de son parti a certainement été à l’origine de réaménagements textuels qui ont consisté à insérer la disposition « anti-transhumance » dans le règlement intérieur[10] de l’Assemblée Nationale et à attribuer la compétence désormais au Bureau de celle-ci pour statuer sur la déchéance ou non du mandat d’un de ses membres. Ainsi,  a été le cas de la déchéance des mandats des députésMoustapha Cissé Lô et Mbaye Ndiaye constatées en janvier 2009 suite à leur démission de leur parti.[11]Le ProfesseurIsmaila Madior Fall a analysé cette déchéance comme étant un précédent dangereux qui fragilise les députés sénégalais. Selon lui, cet acte «  habilite les instances d’un parti à décider de la démission ou non du député. Il fragilise le député qui doit avoir la liberté de critiquer sa propre formation politique (…) la procédure de la déchéance n’est pas définie par le constituant et aucune voie de droit n’est offerte au député pour une éventuelle contestation de cette décision. Le Conseil constitutionnel est incompétent, car ce n’est pas dans ses prérogatives de statuer sur cette question. »[12]

Si la décision d’incompétence du juge constitutionnel sénégalais est compréhensible, il est à noter cependant que la solution sénégalaise ne parait  pas satisfaisante, eu égard à l’insécurité voire « la censure » qu’elle instaure au préjudice du député, laissé en proie à son parti qui est libre d’apprécier sa démission ou non et au Bureau de l’Assemblée Nationale de décider à lui seul de la déchéance de son mandat.

La solution rwandaise ne parait pas plus intéressante a priori. La transhumance politique y est interdite sous peine de déchéance. A ce titre, l’article 69 in fine de la Constitution rwandaise dispose que « Tout membre du Parlement condamné à une peine criminelle par une juridiction statuant en dernier ressort est d'office déchu de son mandat parlementaire par la Chambre à laquelle il appartient, sur constatation de la Cour Suprême.

De même, chaque Chambre du Parlement peut prévoir, dans son règlement Intérieur, les fautes graves qui entraînent la déchéance du mandat parlementaire par la Chambre dont le Parlementaire fait partie. Dans ce cas, la décision de déchéance est prise à la majorité des trois cinquièmes des membres de la Chambre concernée. »

On remarquera qu’au Rwanda, c’est l’Assemblée Nationale qui statue sur la déchéance du député impliqué dans une transhumance politique. Cette solution n’est pas forcément satisfaisante dans la mesure où les critiques du Professeur sénégalais évoquées plus trouvent à s’appliquer au cas rwandais. Aucune voie de recours n’est en effet ouverte alors que le risque de voir ses collègues lui régler des comptes par un vote « mécanique » est grand pour le député.

 

Au Burundi en revanche, c’est le juge constitutionnel qui est expressément compétent pour se prononcer sur la déchéance d’un député démissionnaire de son parti. Il a eu à se prononcer sur sa compétence par une célèbre décision du 05 juin 2008[13].

 

13. En réalité, même si le juge constitutionnel  burkinabé s’est gardé de le viser, c’est l’article 152 de la Constitution du 02 juin 1991 qui détermine la compétence du Conseil Constitutionnel en ces termes : « Le Conseil Constitutionnel est l’institution compétente en matière constitutionnelle et électorale.

Il est chargé de statuer sur la constitutionalité des lois, des ordonnances ainsi que la conformité des traités et accords internationaux avec la Constitution.

Il interprète les dispositions de la Constitution.

 Il contrôle la régularité, la transparence et la sincérité du référendum, des élections présidentielles, législatives et est juge du contentieux électoral.

Il proclame les résultats définitifs des élections présidentielles, législatives et locales.

Le contrôle de la régularité et de la transparence des élections locales relève de la compétence de Tribunaux Administratifs ».

 

14. Le Conseil aurait-il pu fonder sa compétence sur cette disposition ?

L’on pourrait être tenté de répondre par l’affirmative.

En effet, le premier alinéa de cette disposition, en indiquant que le  « Le Conseil Constitutionnel est l’institution compétente en matière constitutionnelle et électorale » laisse penser que cette institution est le juge de droit commun en matière constitutionnelle.

L’on se demanderait alors en quoi la constatation de la déchéance d’un député relèverait-elle de la matière constitutionnelle ? A cette question, d’aucuns répondraient que la déchéance étant prévue par une disposition de la Constitution, seul le Conseil devrait être compétent pour l’appliquer. Cette approche, si elle a l’avantage d’être pratique – en ce qu’elle permet au conseil d’être le juge aussi d’éventuelles exceptions relativement à des dispositions dont l’interprétation relève matériellement de sa compétence- n’est cependant pas exempte de critique. En effet, cette interprétation trop large comporte des limites sérieuses. Il n’est pas aisé de tracer les frontières de la matière qui serait constitutionnelle et de celle qui ne le serait pas. Par exemple, l’on ne peut valablement soutenir que la constatation d’un manquement aux droits à la vie, à la liberté d’association, à un environnement sain, à l’éducation ou la santé, … qui sont tous des droits consacrés par des dispositions constitutionnelles relèveraient aussi systématiquement de la compétence du Conseil Constitutionnel. Ce n’est donc pas parce qu’une situation est consacrée dans la constitution que tout litige y relatif ressortit de la compétence du Conseil Constitutionnel.  Sinon, l’article 130 de la Constitution énonce, par exemple, que les magistrats du siège sont inamovibles. Pour autant, viendrait-il à l’idée du Conseil Constitutionnel de retenir sa compétence si n’importe quel  litige portant sur l’inamovibilité d’un magistrat du siège était déféré devant lui ? 

 

Donc, le Conseil n’aurait pas pu, somme toute, tirer valablement sa compétence de l’alinéa premier de cette disposition qui doit être interprétée de façon significative.

 

15. Il faut donc admettre que le bloc de compétence est celui défini aux alinéas 2 et suivants de l’article 152. Ces alinéas, loin de constituer de simples exemples, sont plutôt des énumérations explicatives dont le but est de compléter nécessairement l’alinéa premier. Aucun de ces alinéas ne saurait justifier  la compétence du Conseil dans le cadre de la Décision rapportée.

 

16. Pareillement, si le Conseil s’est laissé attirer par la notion de « matière électorale », il n’en serait pas moins critiquable. La raison toute simple en est que les élections sont terminées depuis que l’Assemblée Nationale avait statué sur la validité de l’élection de ses membres, conformément à la Constitution[14].

 

17. D’ailleurs, l’on ne peut prétendre que la compétence du Conseil pour prononcer la déchéance d’un député de l’exercice de son mandat se déduirait de la compétence à lui conférée (le Conseil) pour contrôler la régularité des élections législatives ! En effet, pareil raisonnement serait absurde dans la mesure où les maires et préfets, compétents pour célébrer les mariages, ne sont nullement compétents pour prononcer les divorces ou pour annuler lesdits mariages.

 

Donc, il ne peut découler nullement de la disposition qui précède que le Conseil Constitutionnel est compétent pour prononcer la déchéance d’un député de son mandat et ordonner son remplacement.

 

18. Au demeurant, l’on aurait pu comprendre le Conseil Constitutionnel s’il s’était borné à donner un avis sur l’interprétation qu’il faut faire de l’article 85 nouveau de la Constitution. L’avis consiste, en effet, à donner la bonne lecture au requérant. Le Conseil a été d’autant très mal inspiré sur sa compétence que, le recours à lui étant extraordinaire selon la volonté de la loi elle-même, il n’aurait jamais dû ignorer que sa compétence doit être impérativement et expressément déterminée par un texte.

Le problème de la compétence du Conseil Constitutionnel pour connaitre de la déchéance d’un député qui a « librement démissionné » de son parti d’origine reste encore posé, en l’état actuel des textes en vigueur.

 

19. Pour autant, l’Assemblée Nationale aurait-elle pu délibérer sur la validité du mandat du député OUALI Armand Louis, en vertu de l’article 86 de la Constitution ?

Il semble bien que cela aurait pu être difficile à envisager. Ledit article prescrit, en effet, que « Toute nouvelle assemblée se prononce sur la validité de l’élection de ses membres nonobstant le contrôle de la régularité exercée par le Conseil Constitutionnel. » Or, il ne s’agissait pas, en l’espèce, de se prononcer sur « la validité de l’élection » du sieur OUALI Armand Louismais sur la « validité de son mandat », ce qui est totalement différent. L’Assemblée Nationale n’aurait donc pas été compétente pour délibérer sur la déchéance, encore que cela ne parait rentrer aucunement dans ces attributions légales.

 

20. D’aucuns[15] pensent que le Président de l’Assemblée Nationale ou le Bureau de ladite Assemblée aurait pu prendre une décision constatant la déchéance du député OUALI quitte à ce dernier de déférer cet acte parlementaire devant le Conseil d’Etat. Cependant, cette opinion  parait très limitée et même insoutenable.

 

 La première raison réside dans le fait qu’il n’entre pas dans les attributions du Président de l’Assemblée Nationale ni du bureau – contrairement à ce qui se passe au Sénégal- de constater ou prononcer la déchéance du mandat d’un de ses collègues[16]. Rien ne permet de penser ainsi ; pas même la simple logique ne peut porter secours à cette démarche. Si l’Assemblée Nationale ne le peut pas, son Bureau ne le peut davantage et son Président encore moins.

 

La seconde raison trouve son fondement sur la compétence du conseil d’Etat. Elle est ainsi déterminée : « le conseil d’Etat connaît en premier et dernier ressort des recours en annulation pour excès de pouvoir formés contre :

-         les décrets

-         les actes administratifs dont le champ d’application s’étend au-delà du ressort d’un seul tribunal administratif.»[17]

 

 Il est donc évident qu’une éventuelle décision du Président de l’Assemblée Nationale n’aurait pas pu être classée dans aucun des actes sus énumérés si bien que le Conseil d’Etat se serait certainement déclaré incompétent.

Il n’y a rien qui permette de rattacher un acte du Président de l’Assemblée Nationale à l’un quelconque des types d’actes sus énumérés.

 

21. Le Tribunal administratif n’aurait pas été davantage compétent, dans la mesure où les litiges relatifs aux actes parlementaires[18] (non législatifs) ainsi désignés sont tout à fait étrangers au contentieux de l’Administration et ne sauraient relever, en principe, de sa compétence. Ces actes parlementaires, sauf dérogation légale, sont voués à l’immunité[19] juridictionnelle[20].

 

22. La troisième raison qui explique que le juge administratif n’aurait jamais pu connaître de cette question est qu’il y a des questions de fond dont l’appréciation passait nécessairement par l’interprétation de l’article 85 nouveau de la Constitution. A ce titre, le juge administratif aurait, sans doute, décliné sa compétence dès lors que cette interprétation s’imposait à lui, car il n’est pas dans ses attributions d’interpréter des dispositions constitutionnelles. Tout au plus aurait-il opéré un renvoi préjudiciel devant le juge constitutionnel[21] afin que celui-ci interprète avant de lui renvoyer l’affaire pour toute suite éventuelle à donner au recours,  si tant est qu’il existait une violation d’une loi.

 

Si, comme cela apparaît de ce qui précède, le juge constitutionnel a méconnu sa compétence, qu’en est-il alors du respect du principe du contradictoire devant le Conseil Constitutionnel burkinabé ?

 

B.  La contradiction à l’épreuve de la justice constitutionnelle burkinabè

 

23. La contradiction désigne le débat préalable à la prise de certaines décisions. Elle exige que certaines décisions ne puissent intervenir qu’après que les personnes intéressées ou concernées ont été mises à même de présenter devant un tiers impartial, de façon égalitaire et utile, leurs points de vue et leurs arguments sur le sens de la décision à prendre.  La principale illustration de cette règle demeure, dans les droits d’inspiration française, le « principe du contradictoire », dégagé par les jurisprudences administrative et judiciaire et applicable dans le cadre de la procédure juridictionnelle.

 

24. De plus en plus fréquemment cependant, la règle de la contradiction ne se limite plus au cadre juridictionnel dans la mesure où son champ d’application s’est progressivement déployé pour englober non seulement les procédures contentieuses non juridictionnelles[22], mais aussi,  des procédures non contentieuses, préalables à l’édiction de décisions variées[23].

 

25. Les implications de la règle de la contradiction sont, elles aussi, en évolution, notamment sous l’influence de l’interprétation européenne des règles du procès équitable : l’exigence ne concerne plus les seules parties au procès ni les seuls arguments versés au débat par un adversaire mais, elle s’impose plus largement tant à l’ensemble des arguments susceptibles d’influencer la décision finale, que ces arguments soient versés au débat par une partie ou par un tiers impartial : exemple du juge soulevant d’office un moyen[24] ; commissaire du gouvernement ou procureur[25] défendant, en toute indépendance, un point de vue sur l’affaire.

 

26. L’on fait remarquer à juste titre que « la logique à l’œuvre dans le déploiement progressif de l’exigence de contradiction résulte de la conjonction de deux facteurs : d’une part, le contexte de relativisation des valeurs et de « crise de l’intérêt général », résultat du scepticisme de la société civile envers la capacité des pouvoirs politiques et administratifs à découvrir seuls le sens d’un intérêt général qui serait immanent ; d’autre part, la redécouverte de la fonction, certes classique, du débat, comme instrument de découverte, sinon de la vérité, du moins de la meilleure décision possible. »[26]

De ce point de vue, « la contradiction cesse progressivement d’être perçue comme un instrument de défense des seuls intérêts subjectifs en litige, pour se dévoiler progressivement comme un outil de qualité de la décision, desservant une fonction objective de régulation de la complexité. »[27] 

 

27. Si le juge administratif est très regardant sur cette exigence qualifiée parfois de « sacro-saint principe » ( ?) par certains plaideurs, il l’est toutefois moins, voire rarissime au prétoire du juge constitutionnel. La situation y est vraiment déconcertante : l’absence de pratique de la contradiction est le reflet d’une ascendance de sa perception subjective plutôt que de sa fonction objective.

 

En effet, l’appréhension de la règle y demeure largement méconnue ou suspecte, si elle n’est simplement biaisée par l’utilisation de cadres conceptuels réducteurs, en particulier ceux du contentieux et des droits de la défense.  On comprend pourquoi, le député déchu a dit ne guère comprendre comment le Conseil Constitutionnel peut le déclarer déchu de son mandat alors même qu’il ne l’a jamais entendu ni convoqué[28].

 

De ce point de vue, il est difficile de s’expliquer  pourquoi le juge constitutionnel qui a statué sur une requête introduite par « une personne habilitée à le saisir » n’a pas cru devoir entendre le principal intéressé, alors que la mesure demandée tendait manifestement à lui retirer le bénéfice d’une qualité aussi importante que celle d’élu parlementaire.

 

28. On le sait, l’absence de la contradiction devant le juge constitutionnel n’est pas générale[29]. Si l’on peut essayer de comprendre, même sans en être d’accord, que le Conseil puisse rendre des décisions dans certaines procédures[30] sans entendre personne, l’on ne comprendra guère que cette pratique s’étende à toutes les procédures devant lui.

A titre de droit comparé, le principe du contradictoire quoique qualifié d’ « imparfait »[31] s’applique devant le juge constitutionnel français, en matière de contrôle de constitutionnalité des conventions internationales et surtout des lois ordinaires[32].

Certes, la pratique française comporte des insuffisances diversement appréciées[33], mais l’amélioration continue de la contradiction y témoigne de la reconnaissance implicite de son importance : la contradiction y semble effectivement perçue comme un instrument incontournable de légitimation de la décision du Conseil Constitutionnel.

 

29. Pour ce qui est du juge constitutionnel burkinabé, rien ne parait justifier, a priori, ce refus du principe du contradictoire qui tend dangereusement à être général et absolu. La contradiction doit être plus que jamais effective surtout pour une institution dont la dépendance est épiée par l’opinion publique ainsi que cela s’observe à l’occasion des rares décisions qu’elle a l’occasion de rendre Ecrire un commentaire

Observations sur le règlement intérieur du Barreau burkinabé

Publié le 23/05/2012 à 18:32 par justafrik Tags : barreau burkina avocat discipline déontologie justice

Brèves observations sur le Règlement Intérieur du 16 Décembre 2011

 

 

Introduction

 

La profession d’avocat est assise sur des règles de source légale, traditionnelle et coutumière. Parmi ces règles, il y a le Règlement Intérieur, sensé contenir l’essentiel des droits, devoirs et obligations déontologiques et éthiques de l’avocat, ainsi que l’organisation du Barreau. Le Règlement Intérieur apparait comme l’identité du Barreau, sinon la pierre philosophale, du moins la ligne éditoriale de son Discours[1].

 

Le 16 Décembre 2011 le Conseil de l’Ordre (CO) des Avocats du Burkina Faso a adopté un nouveau Règlement Intérieur (RI)[2].

A en croire ses rédacteurs, le RI entrera en vigueur dès sa publication par voie d’affichage à la maison de l’Avocat.

 

L’on s’aperçoit, en le parcourant, que le RI du 16/12/2011 a opéré des ajouts et suppressions à celui qu’il prétend remplacer.

 

Que faut-il attendre d’un RI qui, pour son entrée en vigueur, commence par transgresser les règles en la matière, en l’occurrence l’article 21 de la loi 16-2000 AN du 23 mai 2000 portant règlementation de la profession d’avocat[3] ?

 

D’emblée et sous l’angle de sa production il y a lieu de noter que son processus d’élaboration, s’il parait conforme à la loi[4], défie, en revanche, toutes les règles et usages du Barreau en la matière. Jamais un texte y compris le RI de 2004, n’a été solitairement élaboré sans y associer les principaux intéressés que sont les Avocats[5]. Le faire est simplement contraire à la confraternité, aux principes de tact et de prudence justement clamés et proclamés dans le RI. C’est en plus une méconnaissance de la Politique Nationale de Bonne Gouvernance[6] en cours au Burkina et  qui s’applique à toutes les institutions étatiques ou non.

Puisqu’il va s’appliquer aux avocats, il importe de découvrir le RI du 16 décembre 2011 dans ses modifications.

 

A l’analyse, l’on se rend compte que les modifications touchent aussi bien l’institution « Ordre des Avocats »(I) que le statut même de l’Avocat (II).

 

 

I/ Des modifications portant sur le Barreau

 

 

Dans le RI du 16 décembre 2011, il est des modifications qui portent sur le barreau en tant qu’institution. On peut rigoureusement en dénombrer une quinzaine (articles 2 ; 4 ; 5A ; 6 ; 14 ; 46  et  69). Elles sont soit en rapport avec les organes de l’Ordre (A), soit relatives aux élections ordinales[7] (B)

 

A-L’approfondissement du déséquilibre des organes ordinaux : un bâtonnier tout puissant

 

Le RI du 16 décembre 2011 a entrepris un « repositionnement » des organes de l’Ordre. L’on note, à l’analyse, une dilatation, parfois totalement illégale des pouvoirs et attributions du Bâtonnier (2) alors que d’autres organes en sont totalement dépourvus (1).

 

1- Des organes dépouillés de leurs pouvoirs…

 

Il y a d’abord la consécration de la « qualité de Doyen » qui est « conférée à l’Avocat le plus ancien d’après la date d’inscription au Tableau de l’Ordre » (art.2).

Mais quels sont les attributs de cette qualité ? Quels sont les place et rôle du Doyen dans l’Ordre ? Le RI est muet sur une aussi importante question. Le Conseil ne semble pas être allé au bout de sa logique, car la consécration d’une qualité doit nécessairement s’accompagner de la détermination des attributs qui y sont attachés. En ne le faisant pas, l’on laisse percevoir que la qualité de « Doyen » n’est qu’une appellation, ce qui est invraisemblable.

 

De fait, il aurait mieux valu laisser libre cours à l’usage du barreau burkinabé qui consiste à avoir vis-à-vis du Doyen, toute la reconnaissance, la considération et le respect dus à son rang sur le Tableau de l’Ordre. Jouissant d’une présomption d’expérience et de sagesse, il lui est exigé un devoir de conseil et de disponibilité pour être consulté ad nutum sur des sujets d’intérêt général relatifs au corps.

 

Outre cette consécration sans attributs, l’on note un affaiblissement de l’Assemblée Générale (AG). Celle-ci avait pour attribution de prendre des résolutions sur des questions ou sujets d’intérêt général. La pratique fait de l’AG, l’instance incontournable pour la prise de décisions d’ordre général ayant vocation à s’appliquer à tous les avocats, comme l’élaboration d’un RI par exemple.

Le CO rompt avec cette pratique puisque le RI a été élaboré et adopté solitairement. Pis est, selon le nouveau RI, les AG doivent se contenter désormais d’émettre « des vœux qui sont transmis au CO ». Le CO délibère au plus tard dans les 03 mois de la réception du Procès verbal de ladite AG[8]. Cette disposition qui traduit un sentiment de méfiance vis-à-vis de l’AG parait non seulement impertinente mais est en plus incohérente.

Impertinente d’abord, dans la mesure où il semble que l’AG demeure le curseur de la bonne gouvernance et de la démocratie ordinales. Il est à remarquer que cette conception de méfiance vis-à-vis de l’AG a été inspirée, sans discernement, des barreaux français alors même que dans lesdits barreaux, elle est remise en question. A cet égard, l’on fait remarquer à juste titre, qu’« il n’est pas interdit de s’interroger sur une possible évolution de l’Assemblée Générale en lui donnant ou en lui redonnant sa place pour recevoir l’information du Conseil de l’Ordre et pour permettre la discussion nécessaire entre les avocats sur les nombreux problèmes de la profession, en veillant en même temps à ne pas l’ériger en censeur du bâtonnier et du Conseil de l’Ordre. »[9] Cette interrogation parait d’autant plus pertinente que, dans la plupart des barreaux africains, l’accès aux instances ordinales ne semble pas toujours guidé par un engagement désintéressé au service de l’Ordre. Certains mandats y ressemblent à un vide institutionnel s’ils ne sont pas simplement ponctués d’actions dirigées contre l’Ordre lui-même. De ce point de vue, l’AG apparait comme l’organe de garantie de l’intérêt général et l’expérience de certains barreaux l’a montré[10].

 

Incohérente, ensuite, est cette disposition de méfiance. En effet, justifie t- on vraiment comment l’AG, sans pouvoirs, peut approuver la gestion du Bâtonnier et du Conseil de l’Ordre ? Quid alors de cet autre pouvoir de l’AG qui fonde tous les autres, à savoir l’élection du bâtonnier et des membres du CO ? Il y a, en réalité, comme une transposition maladroite de la théorie de la souveraineté nationale dans le barreau de sorte que, dès la fin de l’élection, l’AG perd tout pouvoir pour ne le recouvrer qu’à la prochaine élection. Quels enjeux cela peut-il avoir pour des mandats non renouvelables[11] ?

 

A côté de ces entités de l’Ordre, dépourvues de pouvoirs réels, règnent deux autres, dont les pouvoirs ont été accrus ou renforcés.

 

2-… tandis que d’autres voient leurs pouvoirs accrus

 

De fait, cela, a priori, n’a rien d’étonnant, puisque les organes concernés sont les auteurs du RI : le Bâtonnier et le Conseil de l’Ordre.

 

Ainsi, en contrepartie de l’affaiblissement de l’Assemblée Générale, le Conseil de l’Ordre a été renforcé dans ses pouvoirs. Il reçoit « les vœux » de l’Assemblée Générale et décide d’y donner suite ou non. Malheureusement, sur ce point, le Règlement Intérieur a omis d’emprunter aux barreaux français toute leur logique : lorsqu’il ne fait pas droit aux vœux de l’Assemblée Générale, le Conseil de l’Ordre doit motiver sa décision[12].

 

De même, à noter que le Conseil de l’Ordre, bien que collectant des cotisations annuelles n’en rend compte qu’en fin de mandat[13]. Cela est totalement contraire à l’esprit de l’article 5-2/ alinéa 4 du même RI[14] ainsi qu’aux principes de gestion des fonds publics[15], de transparence et de démocratie ordinales. C’est en outre une méconnaissance des impératifs de bonne gouvernance.

 

Quant aux pouvoirs du Bâtonnier de l’Ordre, ils ont connu une dilatation au-delà de l’imaginaire. En effet, outre ses fonctions traditionnelles de représentation de l’Ordre auprès des pouvoirs publics, de Présidence du Conseil de l’Ordre, le Bâtonnier a bénéficié de nouveaux pouvoirs.

Ainsi, lorsqu’il statue comme juridiction de première instance, à charge d’appel, le Bâtonnier subordonne l’instruction des litiges dont il est saisi, au paiement de sommes d’argent[16].

Ce sera le cas en matière de contestation d’honoraires, de débours d’avocats et de conflits entre avocats relativement aux conventions d’exercice de la profession etc.

 

Cette invention hasardeuse est tellement contraire à l’article 6 nouveau de la loi organique portant organisation judiciaire au Burkina Faso[17], que l’on se demande comment les acteurs du Règlement Intérieur ont bien pu l’ignorer. La Justice est gratuite au Burkina Faso, sauf les cas où la loi en disposant autrement. C’est ce qui explique la suppression des consignations et autres frais. La survivance des ordonnances du Juge d’instruction portant fixation de frais « en matière de plainte avec constitution de partie civile » est le fait de la loi et non d’un Règlement Intérieur. En plus, il s’agit d’une vraie levée de fonds à caractère général, public… que seule l’Assemblée Nationale a pouvoirs pour autoriser ou décider.

 

Au demeurant, et surabondamment, les avocats paient leurs cotisations pour que l’ordre fonctionne. La charge de Bâtonnier est revêtue d’un caractère de service public et, c’est pour la préservation d’intérêt général qu’il lui a été confié la compétence pour trancher certains litiges. A ce titre, il est soumis aux lois de l’Etat, notamment celles relatives à la gratuité du service public sur ce point précis.

 

Outre cette invention, les rédacteurs du Règlement intérieur ont prévu que toute procédure envisagée contre un acteur de la Justice (magistrat, avocat, officier ministériel, auxiliaire de justice) doit être soumise préalablement au Bâtonnier de l’Ordre. A priori, cela n’est pas gênant. Mais lui donner le pouvoir pour apprécier de l’opportunité  de la procédure entreprise et pour l’autoriser[18] ou non (sic !) devient non seulement gênant, mais surtout juridiquement téméraire[19].

 

Cette trouvaille est plus qu’illégale. Elle viole d’abord le droit du libre accès à la justice reconnu à tout citoyen.

Ledit droit ne peut trouver aucune autre limite que celle prévue par les lois. Le pouvoir d’appréciation de l’opportunité des poursuites attribué Bâtonnier viole, directement, et le droit à la défense et l’indépendance de l’Avocat.

 

Qui plus est, ce pouvoir constitue une source d’incitation à l’impunité, à la corruption, en créant une catégorie de citoyens contre qui il serait interdit à l’Avocat d’entreprendre des poursuites, qu’importe que ce soit de sa propre initiative ‘en tant que citoyen, ou qu’il en ait été requis par un client. On ne voit pas comment l’obéissance à la loi par un Avocat, serait un « manquement grave, passible de poursuites disciplinaires. »L’on est en droit de s’interroger si ceci n’est pas, en soi, suspect.

 

De fait, ce filtre procédural du Bâtonnier, peut être perçu, à juste titre, comme le signe de la crainte de certains acteurs de la Justice de voir leur déviance portée à la compétence des juridictions. Un acteur professionnel de la Justice, qui n’a rien à craindre des faits à lui reprochés, ne peut déférer qu’avec plaisir à la convocation du juge.

Il est totalement faux de prétendre que tel doit être la pratique, et quelle serait fondée sur de prétendus usages, traditions et autres coutumes. L’auteur de ces lignes est de ceux qui militent pour la suppression des faux usages, surtout lorsqu’ils semblent être des inventions casuistiques de certains individus.

L’on parait mieux édifié sur cette impression lorsque l’on examine les dispositions du Règlement Intérieur sur les élections.

 

B) les élections ordinales

Elles sont consacrées à l’article 6 du règlement intérieur.

L’on note un chamboulement, au fond,des dispositions du règlement intérieur sur les élections. Il faut distinguer les opérations préélectorales (1), des opérations électorales et leurs incidents (2).

 

1)Les opérations préélectorales

Elles renvoient essentiellement à l’acte de candidature et à la publication de la liste électorale.

 

D’abord, s’agissant de l’acte de candidature, il ne concerne plus le seul Bâtonnier mais aussi chaque membre du Conseil de l’Ordre. En plus, l’acte doit être porté à la connaissance du Bâtonnier 45 jours avant l’élection au lieu de 15 jours comme le prescrivait l’ancien règlement intérieur[20]. Ce nouveau délai, tout comme l’ancien d’ailleurs, est contraire à l’article 10 du décret portant organisation de la profession d’avocat, aux termes duquel, la déclaration de candidature doit être faite au plus tard sept (07) jours avant l’élection.

Les candidats au Conseil de l’Ordre devront, à l’instar de ceux au Bâtonnat, justifier aussi d’un programme d’activités. Faut-il noter tout cela comme un progrès[21] ?

 

Quinze jours avant les élections, le Conseil de l’Ordre arrête la liste des candidats et celles des électeurs. Les électeurs sont les avocats stagiaires ayant prêté serment au 1er janvier de l’année au cours de laquelle a lieu l’élection.

Il y’a, en outre, les avocats titulaires, à condition d’être à jour des cotisations ordinales au plus tard au 1er janvier de l’année au cours de laquelle a lieu l’élection.[22]

 

S’agissant de cette dernière disposition, il est difficile de ne pas y percevoir l’ombre de la crise de légitimité des instances ordinales qui persiste depuis janvier 2011. En effet, après avoir adressé plus de cinq « dernières sommations » en menaçant vainement dans chacune d’elles, d’omettre à « la prochaine séance du conseil de l’Ordre »les avocats qui refusent de cotiser, le Conseil de l’Ordre semble avoir taillé cette disposition pour obtenir que les avocats paient, l’échec du chantage de l’omission qui n’effraie personne ayant montré ses limites et la détermination des « Avocats fraudeurs ».

 

 

2) Les élections et leurs incidents

 

Les élections des membres du Conseil de l’Ordre ont lieu quinze jours après celles du Bâtonnier, sans qu’on ne comprenne pourquoi. L’inverse aurait été plus intéressant, étant donné qu’on aurait un Conseil de l’Ordre indépendant du Bâtonnier. A mentionner que le malheur du Barreau burkinabé réside dans le fait qu’en général, les membres du Conseil de l’Ordre, assujettis au Bâtonnier de l’Ordre, « moutonnent »derrière lui.Cette situation est favorisée par le désintéressement des avocats à l’élection du Conseil de l’Ordre, dès que le Bâtonnier élu est connu.

 

Il faut souligner la curiosité qui entoure la modification relative à l’effet des recours contre les élections. Alors que l’ancien RI prescrivait que le Bâtonnier et les membres du Conseil de l’Ordre éluent exercent leurs mandats même en cas de contestations, le nouveau règlement édicte qu’il ne peut l’exercer en cas de contestation. Le Bâtonnier sortant et le conseil d’ordre sortant restent en fonction jusqu’à l’épuisement de tous les recours.[23]

Cette modification est d’abord contraire à l’article 13 du décret 2000-426/PPRES/PM/MJ portant organisation de la profession d’avocat qui énonce que dans le cas de contestation des « élections des membres du Conseil de l’Ordre et du Bâtonnier » l’appel ou le recours exercé contre les élections ou les délibérations n’est pas suspensif. Cela signifie, en français facile, que s’il y’a contestation sur l’élection du bâtonnier et du Conseil de l’Ordre fraichement élus, ceux-ci entament néanmoins l’exercice de leurs mandats, nonobstant toute voie de recours.

 

La grossièreté de l’illégalité de la disposition du nouveau RI interpelle sur l’intention réelle des auteurs de la modification.

Serait-ce des intérêts personnels qui sont poursuivis ?

Serait-ce des indices d’une nostalgie du Tazartché nigérien ? Difficile de ne pas y croire !

 

Il n’y a pas que l’institution qui a été touchée par ce RI ; les avocats ont été aussi atteints dans leurs statuts professionnels.

 

 

II/ De la modification du statut de l’Avocat

 

Le statut de l’avocat exerçant au Burkina a été grièvement atteint par les modifications opérées dans le RI. Cette atteinte concerne les droits fondamentaux de l’avocat (A). Dans le même temps, le Conseil de l’Ordre s’est attribué des pouvoirs de législateur sur la profession d’avocat (B).

 

A- L’atteinte grave aux droits fondamentaux de l’avocat

 

D’abord, aux termes des dispositions du nouveau RI, l’avocat objet d’une procédure d’omission à l’initiative du Conseil de l’Ordre ne bénéficie plus, du droit d’être convoqué et entendu au préalable[24]. A fortiori, il n’a pas le droit de se faire assister. Il s’agit, là encore, d’une violation grossière de l’article 49 de la loi n°16-2000 AN du 23 mai 2000 portant réglementation de la profession d’avocat. Le CO semble avoir trouvé, par cette violation, le moyen d’omettre les « avocats frondeurs » sans avoir à les affronter dans un débat d’idées.

 

Ensuite, le RI subordonne la fin de l’omission à un constat par le Conseil de l’Ordre, de la disparition de sa cause, mais à condition que l’avocat intéressé en fasse la demande[25]. Cette manière de procéder est incohérente dans la mesure où le Conseil de l’Ordre qui peut se saisir d’office d’une procédure d’omission doit s’obliger de faire pareil lorsqu’il constate que la cause de l’omission a disparu. A cet égard, il faut rappeler que l’avocat omis garde ses liens avec l’Ordre : entre lui et l’ordre, il ya seulement une séparation de corps et non un divorce, de sorte que dès que la cause du relâchement du lien ordinal a disparu, leur ménage se poursuit systématiquement sans qu’il n’y ait nécessairement besoin d’une demande de sa part. Le CO doit pouvoir le constater et procéder d’office à la réinscription. Sinon, un avocat pourrait, malgré la disparition de la cause de son omission, s’abstenir de demander sa réinscription et s’adonner à des activités prohibées. Il serait, dans ce dernier cas, difficile de lui appliquer rigoureusement la discipline de l’Ordre.

 

On comprend pourquoi la loi 16-2000 ne prévoit pas l’exigence d’une demande de l’avocat omis, en vue de sa réinscription[26].

 

Par ailleurs, le droit de l’avocat d’ester en justice, en son nom ou à la demande d’un usager du droit, contre un professionnel de la justice est érigé en « manquement grave » lorsque l’action envisagée n’a pas été portée en appréciation d’opportunité du bâtonnier de l’Ordre ou soumise à dans tous les cas à son autorisation. Il s’agit simplement d’une violation des droits fondamentaux de la personne humaine en droit positif burkinabè.

 

L’on pourrait rétorquer que des dispositions similaires existent dans d’autres barreaux (exemple du BENIN). Mais, on se rendra vite compte que dans ces barreaux, il s’agit, en matière de taxation des frais d’avocat (et non de contestation d’honoraires) de soumettre préalablement le litige à la tentative de conciliation du Bâtonnier[27]. C’est une règle quiRoman;">« vise à protéger non seulement le client contre les abus et les exactions éventuelles de certains avocats, mais aussi l’avocat lui-même »puisqu’ « en tout état de cause, en cas d’inaction du bâtonnier de l’ordre, l’avocat a la possibilité de saisir soit le Conseil de l’Ordre, soit l’Assemblée Générale de la Cour d’Appel »[28].

 

On le voit, tel n’est ni la matière, ni les pouvoirs attribué au Bâtonnier du Burkina. Rien ne justifie davantage que l’avocat transmette son entier dossier ou l’exploit… au Bâtonnier, etc. Qu’adviendra-t-il d’ailleurs si c’est le bâtonnier lui-même qui est visé par la procédure, ou si la procédure vise un client du Bâtonnier?

 

Enfin, pour accueillir un stagiaire, l’avocat doit avoir « au moins sept(07) ans d’expérience comme titulaire ou associé de cabinet »[29].

Cette disposition, a priori, aurait pu être créditée d’une bonne appréciation sous l’angle de la formation des plus jeunes. En effet, un avocat qui s’installe dès la fin du stage peut paraitre non disponible et pas très apte à véhiculer le savoir, le savoir être et le savoir faire à celui qui apprend le métier. Un tel avocat a d’ailleurs, lui-même, encore besoin de davantage de formation…

Là où la disposition pêche, c’est la violation du principe d’égalité entre les avocats relativement au mode d’exercice de la profession. Ainsi, l’expérience d’avocat salarié et d’avocat collaborateur n’est pas prise en compte dans l’aptitude à former alors que rien ne justifie une telle situation. L’on sait que dans la pratique, le collaborateur tout comme l’avocat salarié participe beaucoup à la bonne formation de l’Avocat stagiaire.

Hormis cette critique, l’on peut noter aussi que l’expérience de 07 ans est arbitraire. Pourquoi pas cinq (05) ans, qui est l’expérience requise pour être membre du Conseil de l’Ordre ?

 

Mais, on le voit bien, les auteurs du Règlement Intérieur aiment bien à légiférer.

 

B- Les nouvelles incompatibilités et obligations de l’Avocat

 

Visiblement, les dispositions du droit positif burkinabè, en matière d’incompatibilités de la profession d’avocat ne paraissent pas du goût des acteurs du Règlement Intérieur. C’est ce qui pourrait expliquer l’édiction de nouvelles incompatibilités (1) et de nouvelles obligations par le Conseil de l’Ordre (2).

 

1-Les nouvelles incompatibilités

A côté des incompatibilités limitativement énumérées aux articles 54 à 56 de la loi 16-2000 du 23 mai 2000, le nouveau Règlement Intérieur a, dans son œuvre de légifération, édicté d’autres.

 

Il s’agit, au titre des incompatibilités générales, de « toute charge de hautes fonctions de président, de dirigeant ou d’administrateur d’une institution publique étatique ou paraétatique autre que professionnelle[30].

Cette nouvelle incompatibilité, peut-être faut-il le rappeler, viole les dispositions légales sur les incompatibilités.

 

En effet, l’édiction des incompatibilités relève exclusivement de la loi et non d’aucune autorité. Le Conseil de l’Ordre ne semble avoir tiré aucune leçon de la Décision rendue par l’Assemblée générale de la Cour d’Appel de Ouagadougou, dans l’affaire Bénéwendé S. SANKARA[31]. Dans cette affaire, le Conseil de l’Ordre avait rejeté la demande de réinscription de Maître Bénéwendé S. Stanislas, au motif que la charge de Chef de file de l’opposition était incompatible avec l’exercice de la profession. La Cour avait annulé la décision du Conseil de l’Ordre et ordonner la réinscription de l’Avocat, au motif que l’incompatibilité considérée par le Conseil de l’Ordre était dépourvue de base légale.

Outre cette décision, il y a lieu de noter la pertinente et constante jurisprudence française qui dénie au Conseil de l’Ordre le pouvoir d’édicter des incompatibilités ou interdictions à la profession d’avocat. Le juge avait fait remarquer fort justement que « quelque fondamental que soit le principe de l’indépendance de l’avocat, son respect ne justifie pas qu’il soit ajouté à la loi. »[32] Cela est d’autant pertinent que la définition et les conditions d’exercice de la profession procédant de la loi, il importe que les exceptions, incompatibilités ou interdictions relatives à l’exercice proviennent aussi de la loi.

Le Conseil de l’Ordre a manifestement été très mal inspiré dans cette entreprise et, il est difficile de ne pas la rattacher à la volonté de justifier a posteriori le refus d’obtempérer face à la décision sus évoquée de l’Assemblée Générale de la Cour d’Appel de Ouagadougou d’une part, et l’omission de Barthélémy KERE sur fond de motifs tirés par les cheveux d’autre part.

 

Quid alors des obligations nouvelles de l’Avocat ?

 

2-Les nouvelles obligations de l’Avocat

Il s’agit d’abord des obligations déjà abordées plus haut, consistant à soumettre à l’appréciation et à l’autorisation du Bâtonnier, les procédures que l’avocat envisage contre un professionnel de la Justice.

Il y a aussi, sous cet angle, l’obligation de payer des frais en matière de contestation d’honoraires ou de conflit entre avocats au sujet de leurs conventions d’exercice professionnel etc.

 

Outre ces obligations nouvelles déjà évoquées, il est une autre, prévue à l’article 33 du Règlement Intérieur aux termes duquel « en tout état de cause, l’avocat sollicite [par l’Etat pour occuper ou effectuer une mission temporaire, même rétribués] doit en informer préalablement le Bâtonnier et recueillir son Avis ».

Cette obligation n’a aucun fondement, ni légal, ni usuel. On ne saurait imposer la demande d’avis pour qui n’en a point besoin. Il s’agit d’une situation à laisser à l’appréciation de l’Avocat selon que le Bâtonnier, dans sa personnalité, mérite cette demande ou pas. D’ailleurs, on ne voit pas la pertinence d’une telle obligation si ce n’est une volonté puérile de pouvoir désemparé. Le Bâtonnier méritera l’honneur ou le respect des avocats ou ne le méritera pas. Il lui appartiendra, de par sa bonne conduite, de bénéficier et jouir de la considération de ses confrères. Le respect, la déférence vrais ne procèdent jamais d’une loi ni d’aucun texte.

 

Conclusion

 

Peut-on conclure sur un sujet pareil ? La réponse par la négative semble s’imposer. Néanmoins, l’on retiendra que la quasi-totalité des modifications entreprise par le Conseil de l’Ordre sur le Règlement Intérieur est illégale et contraire même aux principe

Avocat en enquête de police

Publié le 23/05/2012 à 16:09 par justafrik Tags : avocat police enquete infraction droits onu

 

L’état du droit des personnes arrêtées ou détenues à communiquer avec un avocat dans la procédure pénale au Burkina Faso

 

 

 

Le vœu de tout citoyen, lorsqu’il est l’objet d’accusation, c’est de pouvoir y répondre librement, sans contrainte ni violence, dans un langage qu’il maîtrise. Une phrase mal formulée, une question mal comprise ou une mauvaise ponctuation peut coûter à un citoyen sa liberté. C’est sans doute la raison pour laquelle dans certains pays l’accusé ou le prévenu a droit à garder le silence jusqu’à l’arrivée d’un avocat. De même, dans la sous-région, conscient de ce risque grave qui pèse même sur les citoyens potentiellement innocents, les législateurs ont fait de la présence d’un professionnel  familiarisé au langage ésotérique du droit et de la justice un droit, dès l’enquête de police. L’avocat est ce « professionnel du droit qui conseille et défend les justiciables. Il exerce une profession réglementée et sa déontologie l'oblige à être indépendant et compétent, à garder le secret professionnel et à refuser tout conflit d'intérêts. La loi qui lui donne le monopole de prestations juridiques et celui de la représentation devant des juridictions est fondée sur la confiance dont l’avocat est investi.  Il prête  serment ».[1]

 

Le Burkina Faso  est l’un des derniers bastions des justices pénales à forte ascendance policière, vu que le procès pénal repose essentiellement sur l’enquête de police, parfois dans des conditions extrêmement discutables. L’on constate, malgré cette prépondérance de l’enquête policière dans un contexte marqué par un fort taux de profanes du droit usuel, que les personnes concernées par une procédure pénale ne sont pas autorisées à communiquer avec le conseil de leurs choix en phase d’enquête préliminaire. Manifester un tel besoin constitue d’ailleurs une circonstance aggravante[2] aux yeux des enquêteurs de la police judiciaire. Les raisons avancées pour justifier cet état de fait sont diverses. L’on peut s’interroger dès lors, sur l’existence de ce droit au Burkina et, le cas échéant, sur son contenu. Cette interrogation doit s’opérer à la lumière du droit positif burkinabé, sans s’arrêter aux réponses simplistes données par certains et qui ne peuvent résister à la moindre critiquable sérieuse.  

 

L’intérêt d’une réflexion s’impose d’autant plus que ces dernières années, la presse a rapporté des cas de morts suspectes dans des locaux de police judiciaire, du fait de sévices et violences corporels. A cela, il faut ajouter la crainte des populations (crainte quasi-sociologique) vis-à-vis des hommes de tenues, ce qui leur ôte toute quiétude ou sérénité nécessaire pour répondre à des accusations qui pèsent contre elles. En retour, conscients de cette crainte des populations, certains membres de la Police judiciaire n’hésitent pas non plus à privilégier les menaces et les contraintes pour obtenir des « aveux » et même plus. Pourtant, à l’analyse, il apparaît que la présence de l’avocat en enquête préliminaire est bien consacrée par le droit positif burkinabé (A) et que le prétendu caractère secret de ladite enquête - fréquemment avancé comme prétexte pour justifier le refus de ce droit au justiciable- n’est nullement étranger ni incompatible avec la profession et la mission de l’avocat(B).

 

A. Le fondement juridique de la pertinence de la présence de l’avocat  en enquête préliminaire

 

Les partisans de la thèse selon laquelle une personne arrêtée[3] ou gardée à vue[4] n’aurait pas droit à un avocat prétendent asseoir leur opinion sur le fait que le code de procédure pénale n’aurait pas consacré ce droit-là aux prévenus.

 

Cependant, pareil argument est léger et est même totalement erroné. C’est plutôt  la thèse contraire, c’est-à-dire, le droit des personnes à communiquer avec un conseil qui a été consacré tant par les conventions internationales dont est Partie le Burkina Faso que par les lois internes.

 

1)    Le droit des personnes arrêtées à communiquer avec un avocat : un droit consacré par les instruments juridiques internationaux  

 

Le droit de toute personne arrêtée ou détenue[5] à communiquer avec un avocat de son choix a, pendant longtemps, été une préoccupation essentielle de  la Communauté Internationale. Ainsi déjà en 1976, l’ONU adoptait lePacte international relatif aux droits civils et politiques, lequel a été ouvert à la signature, à la ratification et à l'adhésion par  l'Assemblée générale dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966, puis est entré en vigueur le 23 mars 1976, conformément aux dispositions de l'article 49 de l’ONU.

 
Dans ce  Pacte, il est stipulé à l’article 14-2) et 3) que«  Toute personne accusée d'une infraction pénale est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.
3. Toute personne accusée d'une infraction pénale a droit, en pleine égalité, au moins aux garanties suivantes:

a) A être informée, dans le plus court délai, dans une langue qu'elle comprend et de façon détaillée, de la nature et des motifs de l'accusation portée contre elle;

b) A disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense et à communiquer avec le conseil de son choix; »

Il en découle que tout prévenu ou détenu a le droit de communiquer avec son avocat, de le consulter, et de recourir auxservices d’un interprète pour lui permettre d’exercer réellement ce droit[6]. Il a le droit d’être entendu sans délai par une autorité judiciaire[7] ou autre, habilitée à contrôler, selon qu’il conviendra, le maintien de la détention, y compris la mise en liberté dans l’attente du jugement[8].

 

Outre cette norme de source  conventionnelle internationale, il convient de citer le point 93 de l’Ensemble de règles minima pour le traitement des détenus, adopté par le premier Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants, tenu à Genève en 1955 et approuvé par le Conseil Economique et Social dans ses résolutions 663 C (XXIV) du 31 juillet 1957  et 2076 (LXII) du 13 mai 1977, aux termes duquel « Un prévenu doit être autorisé à demander la désignation d'un avocat d'office, lorsque cette assistance est prévue, et à recevoir des visites de son avocat en vue de sa défense. Il doit pouvoir préparer et remettre à celui-ci des instructions confidentielles. A cet effet, on doit lui donner, s'il le désire, du matériel pour écrire. Les entrevues entre le prévenu et son avocat peuvent être à portée de la vue, mais ne peuvent pas être à la portée d'ouïe d'un fonctionnaire de la police ou de l'établissement. »  

 

A ces sources, il faut ajouter, le point 7 des Principes de base relatifs au rôle du barreau adoptés par le  huitième Congrès des Nations Unies pour la prévention du crime et le traitement des délinquants qui s'est tenu à La Havane (Cuba) du 27 août au 7 septembre 1990, lequel édicte que«  Les pouvoirs publics doivent en outre prévoir que toute personne arrêtée ou détenue, qu'elle fasse ou non l'objet d'une inculpation pénale, pourra communiquer promptement avec un avocat et en tout cas dans un délai de 48 heures à compter de son arrestation ou de sa mise en détention »

 

Il est évident que l’empêchement fait aux personnes arrêtées d’avoir accès à leurs avocats constitue une grossière violation des instruments juridiques internationaux élaborés et adoptés par des organisations  dont le Burkina est membre et Partie contractante des conventions qui en émanent[9]. L’on ne peut pas croire que les autorités qui ont ratifié ces conventions l’ont fait, juste pour être à la mode et  pour en faire un simple slogan, tels de simples paroliers ! Au demeurant, l’opinion publique se souvient encore de cette image du Président du Faso, présidant une réunion du Conseil de Sécurité. Visiblement, les autorités publiques en étaient heureuses, vu qu’à l’époque, c’était l’image d’un Burkina Faso rayonnant à l’International dans le concert des Nations… Mais cela  a des conséquences évidentes, dont l’une, de loin la plus est importante, est le devoir de respecter les normes  internationales auxquelles l’on a librement souscrit.  Cela est d’autant plus pertinent que le respect desdites conventions et instruments ne coutent rien à l’Etat, bien au contraire et que, pour une fois, il ne peut exciper de défaut de moyens financiers pour y échapper.

A supposer que les entraves faites aux personnes arrêtées d’avoir accès à un avocat soit une ignorance des conventions internationales en la matière, il est à rappeler que même les sources nationales du droit ont consacré ce droit à communiquer à un avocat.

 

2)Le droit des personnes arrêtées à un avocat : un droit prévu par le droit interne  

 

Il est à noter d’emblée que c’est la constitution elle-même qui édicte en son article 5 alinéa 1er que « tout ce qui n’est pas défendu par la loi ne peut être empêché et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas ».

 

Il résulte de ce grand principe posé par le Constituant de 1991 que, dès lors qu’un comportement, un acte, n’est pas défendu ou interdit par la loi, personne ne peut en empêcher l’accomplissement. En d’autres termes, l’interdiction d’un acte, d’un comportement, d’un fait… ne peut résulter que de la loi. La défense faite à autrui de poser un  acte ne peut résulter que de la loi et non d’aucune personne quelle qu’elle soit.

 

De ce point de vue, l’on ne manquera pas de se demander sur quelle interdiction légale certaines personnes investies de l’autorité publique fondent-elles leurs refus aux personnes mises en cause de communiquer avec un avocat en enquête préliminaire. Une recherche minutieuse faite dans tout l’arsenal juridique burkinabé ne semble créditer aucunement ce refus qui apparaît comme étant un abus-type.

 

En outre, l’article 3 de la loi n°16-2000 AN du 23 mai 2000 portant réglementation de la profession d’avocat, claironne : « (…) Toute personne peut recourir à l’assistance d’un avocat tant devant les instances juridictionnelles ou disciplinaires que devant les administrations publiques. »Cette disposition spéciale, applicable en matière d’assistance, est très claire pour ne se prêter à aucune interprétation.

 Les auteurs des entraves au droit de communiquer avec un avocat prétendent là encore qu’un commissariat ou une brigade, une section,… de gendarmerie ou de police ne serait pas une « administration publique ». Mais, sont-ce des administrations privées ? Evidemment non ! Y a-t-il alors une loi qui exclurait les locaux qui servent de cadre à la conduite des auditions d’enquête des administrations ? Encore non ! Il n’existe aucune exclusion ou exception, ni matérielle ni organique.

 

Sur ce point, il doit être rappelé que nul ne peut « distinguer là où la loi ne distingue pas »[10]. En vertu de ce principe,  si les commissariats et autres brigades, ou sections étaient des administrations publiques à exclure de celles devant lesquelles les droits de la défense doivent être respectés, cette exclusion ne peut provenir que de la loi et ce, expressément. Il appartient donc aux tenants de la thèse selon laquelle ces entités sont exclues des administrations, de fournir les références des lois qui en ont disposé ainsi.

En plus ceux qui prétendent qu’il faut impérativement que ce droit à l’assistance soit inscrit dans le code de procédure pénale pour être applicable ne justifient aucunement leur position. A titre de droit comparé, ce droit est contenu dans les constitutions sénégalaise[11], béninoise et togolaise et la pratique de l’assistance en enquête préliminaire n’y semble pas avoir un autre fondement dans le droit interne de ces pays.

 

Au demeurant, cet argument a l’inconvénient de présenter, à tort, les casernes comme étant réfractaires à la transparence, aux libertés individuelles,  ce qui est faux. Il suffit de lire le code de justice militaire ou le statut des forces armées pour se rendre compte qu’il n’est pas d’institution plus respectueuse des droits de la défense que l’Armée[12].

C’est donc vainement et en toute illégalité qu’il est refusé aux personnes arrêtées, prévenues ou détenues de communiquer avec l’avocat de leur choix.

 

B- L’avocat et le caractère secret de l’enquête préliminaire

 

L’un des deux prétextes allégués pour refuser aux personnes arrêtées le droit à la présence de l’avocat est tiré du secret de l’enquête.

Mais cet argument s’apparente, sinon à une injure faite aux avocats (1), du moins une mauvaise compréhension du contenu du secret de l’enquête préliminaire (2).

 

1.     La présence de l’avocat, perçue comme une menace au secret de l’enquête

 

Justifier le refus de la présence de l’avocat en enquête préliminaire par le caractère secret de celle-ci revient à prétendre que la présence de l’avocat serait incompatible avec le secret.

Cette conception est d’abord fausse et même erronée dans la mesure où la procédure devant le juge d’instruction est tout aussi secrète, voire plus secrète, alors qu’elle suppose, pour l’accomplissement des actes essentiels, surtout en matière criminelle, la présence de l’avocat. On ne voit donc pas comment l’avocat pourrait, à la fois, être un obstacle au secret de l’enquête et un acteur essentiel de la transparence de l’enquête, aux yeux du même législateur !

 

Du reste, l’article 11 du code de procédure pénale qui consacre le secret de l’enquête préliminaire et de l’instruction n’indique nulle part que les droits de la défense devraient être pour autant sacrifiés ou écartés à l’occasion. Bien au contraire, il prescrit que « Sauf dans les cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète. »Or, les droits de la défense s’entendent non seulement, du droit de se défendre soi-même mais aussi du droit de choisir librement son conseil et de communiquer avec lui[13].Rien ne justifie que la partie civile[14] puisse avoir librement accès à un avocat, bénéficier des conseils de celui-ci, et même le plus souvent d’une plainte préparée par ses soins puis transmise à la police judiciaire et que le mis en cause ou prévenu (présumé innocent) qui a les mêmes droits, ne puisse pas avoir la possibilité, ne serait-ce que  de communiquer avec un avocat. Le principe d’égalité[15] entre citoyen même s’en trouve gravement  violé.

 

Ensuite, l’argument tend à présenter l’avocat comme étant, autrement, un obstacle à la manifestation d’une certaine vérité, celle du plaignant ou du Procureur, qui n’est pas nécessairement la vérité, en témoignent les jugements de relaxe devant les juridictions. En revanche, l’absence de l’avocat peut favoriser davantage les violations qu’elle n’en évite ou n’en empêche. Il est pratiquement devenu notoire que bon nombre d’enquêteurs de police judiciaire ou même des parquets s’adonnent fréquemment à un « recouvrement » de créances dans des litiges qui sont très loin du pénal. De nombreuses personnes ont eu à payer des « dettes » indues à des enquêteurs, juste pour éviter d’aller en prison, même le temps d’être relaxées. Conscients de l’efficacité de ce « vandalisme procédural », de nombreux créanciers ou supposés tels préfèrent recourir à un membre de la police judiciaire ou à un parquetier, dans l’espoir qu’une pression ou une menace d’un emprisonnement imminent permettrait le paiement de la dette supposée.

 

Par ailleurs, à titre de droit comparé, dans la plupart des pays de la sous-région, les personnes arrêtées ont le droit de communiquer avec leurs conseils. En plus- et puisque nos décideurs aiment la comparaison avec la France (surtout quand cela les arrange)-  c’est aussi le cas en France et ce, dès l’arrestation[16].

 

Enfin, l’avocat est un acteur du service public de la Justice, qui, comme le Procureur ou le juge, a prêté serment devant l’Assemblée Générale de la Cour d’Appel. Comme tel, il a une Haute Idée et a pleinement conscience de l’importance et du sérieux de sa mission autant qu’un Procureur ou un membre de la Police judiciaire. Il est davantage aussi éminemment respectable, honorable, utile que désintéressé que l’est un procureur ou un membre de la Police judiciaire.

Il peut paraître donc injurieux de refuser aux justiciables de communiquer avec l’avocat sous prétexte d’un quelconque secret.

 

Si ce n’est une injure, ce peut donc qu’être une ignorance de ce qu’est le secret de l’enquête.

 

2. De la perception policière du « secret » de l’enquête

 

Il n’est pas superflu de s’interroger sur le point de savoir si tous les enquêteurs perçoivent bien le contenu du caractère secret de l’enquête.

En effet, dans la pratique, la police y compris le parquet, en convoquant ou arrêtant une personne, ne l’informe guère des faits qui lui sont reprochés. L’on se contente de notifier aux personnes convoquées « de se présenter pour affaire les concernant » en leur indiquant que « faute de se présenter, ils pourront être conduits par la force publique ».

 

 Ainsi, même le motif de la plainte demeure un secret pour le mis en cause. Ce caractère unilatéral du secret de l’enquête est totalement contraire à l’obligation de légalité et d’impartialité que doivent observer les professionnels de la police judiciaire. L’enquête ne peut pas être secrète pour une partie au profit d’une autre qui, elle, est informée. Il s’agit plutôt de faire en sorte qu’aucune des parties concernées ne puisse poser des actes de nature à entraver le cours de l’enquête ou à empêcher la manifestation de la vérité. Il y va aussi du respect scrupuleux du principe de la présomption d’innocence qui doit guider les actes d’enquête, en évitant notamment de jeter en pâture à l’opinion publique, une personne simplement mise cause et dont la culpabilité n’a pas été établie légalement par une juridiction impartiale et indépendante.

 

De ce point de vue, de par sa profession, l’avocat ne peut être vu comme le complice de son client, mais comme un acteur de la justice. Le fait qu’il intervienne nécessairement aux cotés et pour le compte d’une partie n’autorise nullement à le confondre à son client, encore moins le considérer comme partageant ou approuvant les actes de celui-ci.

Cette charge assurément délicate, l’avocat en a conscience et prend quotidiennement les dispositions pour l’assumer pleinement. Si l’enquête est secrète, elle doit l’être pour tous. Comment comprendre, à ce sujet,  que certaines personnes (loin de la justice) ont accès à des dossiers d’enquête préliminaire, ou à certaines pièces (parfois non communiquées au parquet-lui-même) ? Il est permis de se demander si le « fameux » secret en est encore un ou du moins, s’il ne relève pas moins de la réalité que du verbe.  

 

Comme il est donné de le constater, il est hasardeux de soutenir aujourd’hui l’absence d’un fondement juridique à la présence de l’avocat en enquête préliminaire.  Il est de l’intérêt de tous que la Justice statue sur le sort de personnes qui ont eu la faculté de s’exprimer librement et sans contrainte ni violence, étant entendu que les sévices corporels et la violence (physique ou morale) sont en passe de devenir un moyen privilégié d’enquête.   De toute évidence, un encadrement de ce droit est souhaitable.  Mais l’absence de cet encadrement ne saurait justifier sa violation récurrente et permanente. Les personnes victimes de cette violation devraient, de plus en plus, s’adresser au juge compétent à toutes fins utiles. Cela est d’autant plus intéressant que la faute découlant de cette violation est, non pas une faute professionnelle, mais une faute personnelle dont les conséquences frappent directement la personne ou le patrimoine du fonctionnaire qui en est auteur.

 

 

En résumé, en droit positif burkinabé, les droits de la défense, dont celui de se défendre et de choisir librement son devoir, doivent être respectés dès l’enquête préliminaire. Il faut admettre qu’un policier, un gendarme, un magistrat… qui veut travailler honnêtement n’a rien à craindre de la présence d’un avocat.  Le combat pour le respect de ce droit incombe à tous, surtout au Barreau en tant qu’institution. Force est de constater cependant que du haut de ses 20 ans célébrés douloureusement  en janvier 2011 le barreau burkinabé qui aurait dû, à cette occasion, faire une introspection sur son rôle et sa place dans la quête d’une justice de qualité, respectée et respectueuses des droits des citoyens, en a malheureusement manqué l’occasion. Y a-t-il un manque d’impulsion de la part des animateurs des organes ordinaux ? La situation de crise aigüe y consécutive donne des indices de réponse à cette interrogation.

 

En tout cas, cet écrit se veut de contribuer au débat sur cette question qui ne se pose que lorsqu’il y a mort d’homme dans un commissariat. Apparemment esquivée par l’autorité publique, la persistance de cette situation de justice pénale à forte ascendance policière, pourrait causer pourtant bien d’ennuis à l’autorité de l’Etat comme ce fut le cas ces dernières semaines.

 

                                                                              Batibié BENAO

                                                                             Avocat à la Cour



[1] Définition de l’avocat donnée et arrêtée par le syndicat dit Confédération Nationale des Avocats de France (CNA), inhttp://www.cercle-du-barreau.org/archive/2011/03/13/l-avocat-est-il-toujours-un-auxiliaire-de-justice.html

[2] A plusieurs reprises, des cas d’incarcération de personnes mises en cause ou de menace, intimidation d’agents ou officiers de police judiciaire sur ces personnes ont été rapportés soit à l’audience, soit dans les cabinets d’avocats. Les enquêteurs se fâcheraient ou durcissent les conditions de la rétention ou garde à vue, lorsque le mis en cause éprouve le besoin de voir ou de parler à son avocat.

[3] Une personne arrêtée est une personne qui a été appréhendée par la police judiciaire ou qui fait l’objet d’une privation de liberté d’aller et venir en vertu d’un mandat du juge d’instruction.

[4] La personne gardée à vue est celle qui, étant à la police judiciaire pour répondre de faits, y est momentanément gardée ou mis à la disposition des enquêteurs pour les besoins de l’enquête. Elle sera gardée pendant 72 heures avec une possibilité de prorogation de 48 heures sur autorisation d’une autorité judiciaire compétente. Le débat s’est posé, en France, de savoir, si d’une part, les enquêteurs pouvaient décider de la garde à vue sans que le justiciable ait la faculté de se faire assister de l’avocat de son choix, et d’autre part, si le Procureur dans sa version française qui est aussi la nôtre, est une autorité judiciaire compétente à même de se prononcer de façon indépendante sur une mesure de privation de liberté. A toutes ces deux questions, la CEDH a répondu par la négative.

[5]La personne détenue est différente de la personne gardée à vue. Alors que la garde à vue se déroule dans les locaux des services de police judiciaire, la détention, elle, se déroule dans un Centre de détention. Au Burkina Faso, la détention se déroule dans une Maison d’arrêt et de correction. Le détenu n’est pas nécessairement un condamné. Il peut être en attente de jugement ou détenue pour des raisons d’enquête, en vertu d’un mandat de dépôt. 

[6]Voir le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (art. 14, par. 3); l’ensemble de principespour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (principes 11, par. 1, et 17, 18 et 32); et l’ensemble de règles minima pour le traitement des détenus (règle 93).

[7]Nous reviendrons sur le point de savoir si le Procureur et ses substituts, dans leur statut actuel de subordination à l’exécutif sont une autorité judiciaire au sens de la loi.

[8] Voir l’ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d’emprisonnement (principe 11, par. 3).

[9]Le Constituant burkinabé du 02 juin 1991, au paragraphe 7 du Préambule de la Constitution, indique solennellement que le Peuple burkinabé souscrit « à la Décla